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dèle d’une fille qui a cinquante mille escus en mariage ! Quelque muguet vous a cajollée ; vous voulez avoir des plumets, qui, apres avoir mangé leur bien, mangeront encore le vostre. Hé bien, bien ! je sais comment il faut apprendre l’obéissance aux filles qui font les sottes : quand vous aurez esté six mois dans un cul de couvent, vous apprendrez à parler un autre langage. Allez, vous estes une maladvisée de nous avoir fait souffrir cet affront ; retirez-vous de devant mes yeux et faites tout à l’heure vostre pacquet.

Si-tost que son emportement luy eut permi de revenir à soy, il vint faire des excuses à la compagnie et au futur espoux de ce que ce mariage ne s’achevoit pas. Il commença par une grande declamation contre le malheur de la jeunesse, qui ne sçavoit pas connoistre ce qui lui est propre. Ha ! disoit-il à peu près en ces termes, que le siecle d’apresent est perverty ! Vous voyez, messieurs, combien la jeunesse est libertine, et le peu d’authorité que les peres ont sur leurs enfans. Je me souviens encore de la maniere que j’ay vescu avec feu mon pere (que Dieu veuille avoir son ame). Nous estions sept enfans dans son estude, tous portans barbe ; mais le plus hardy n’eût pas osé seulement tousser ou cracher en sa presence ; d’une seule parole il faisoit trembler toute la maison. Vrayment il eust fait beau voir que moy, qui estois l’aisné de tous, et qui n’ay esté marié qu’à quarante ans, moy, dis-je, j’eusse resisté à sa volonté, ou que je me fusse voulu mesler de raisonner avec luy ! J’aurois esté le bien venu et le mal receu ; il m’auroit fait pourrir à Saint-Lazare ou à Saint-Martin55.


55. Il est parlé ici de la tour de l’ancienne abbaye Saint-