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bout pour l’amour de vous ? Cela n’est pas trop malaisé (continua Javotte), et si vous me voulez bien promettre de l’accomplir, je vous le diray. Je vous le promets (adjousta Pancrace fort brusquement) et je vous le jure par tout ce qu’il y au monde que je respecte le plus ; je souhaite mesme que la chose soit bien difficile, afin que l’execution soit une plus forte preuve de la passion que j’ay de vous servir. Apres cette asseurance (reprit Javotte), je vous avouë que, vous ayant oüy dire tantost de belles choses, en disputant avec ces demoiselles, je voudrois bien vous prier de me prester le livre où vous avez pris tout ce que vous avez dit : car j’avouë ingenuëment que je suis honteuse de ne point parler, et cependant je ne sçay que dire ; je voudroys bien avoir le secret de ces demoiselles, qui causent si bien ; si j’avois trouvé leur livre où tout cela est, je l’estudierois tant que je causerois plus qu’elles. Pancrace fut surpris de cette grande naïfveté, et luy dit qu’il n’y avoit pas un livre où tout ce qu’on disoit dans les conversations fust escrit ; que chacun discouroit selon le sujet qui se presentoit, et selon les pensées qui lui venoient dans l’esprit. Ha ! je me doutois bien (luy dit Javotte) que vous feriez le secret, comme si je ne sçavois pas bien le contraire. Quand maman parle de mademoiselle Philippotte, qui a tant parlé aujourd’huy, elle dit que c’est une fille qui a tousjours un livre à la main ; qu’elle a estudié comme un docteur, mais qu’elle ne sçait pas ficher un point d’aiguille ; que je me donne bien de garde de l’imiter, et qu’un garçon à marier qui prendroit son conseil ne voudroit point d’elle ; mais elle a beau dire, si j’avois attrappé son livre, je l’apprendrois tout par cœur.