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soient le mesme commerce que s’ils eussent esté trafiquer dans le marché au cochons54 ; encore en celuy-cy auroient-ils eu l’advantage d’y trouver certains officiers du roy, nommez langueyeurs, qui leurauroient respondu de la santé de la beste, au lieu que, par un grand malheur, cette police ne s’est pas encore estenduë jusques aux marchez d’amour, où neantmoins elle seroit bien plus necessaire. Enfin le ciel vangeur se mit en devoir de punir ce honteux trafic. Ce fut Bacchus, devenu le grand ennemy des femmes depuis qu’il avoit abandonné Ariane pour ne faire plus l’amour qu’au flacon, qui fit venir une certaine peste du pays des Indes, qu’il avoit conquis, pour infecter toute cette maudite engeance qui avoit introduit dans le monde l’amour mercenaire. Elle s’espandit partout en fort peu de temps, avec une telle fureur qu’il n’y eut personne de ceux qui estoient complices de cette corruption d’amour qui eschapast à cette juste punition de son crime. Le pauvre Cupidon, tout Dieu qu’il estoit, en eust sa part comme les autres, car en buvant et en mangeant les restes de sa maistresse


54. Dans la pièce de Boisfranc, les Bains de la porte Saint-Bernard, comédie en trois actes, en prose (1696), le trafic des mariages est comparé, un peu plus noblement qu’ici, à celui qui se fait au marché aux chevaux. « Il ne seroit pas mauvais, y est-il dit (acte 3, sc. 2), qu’il y eût à Paris un marché aux maris, comme il y a un marché aux chevaux : ce sont des pestes d’animaux où l’on est plus trompé qu’à tout le reste de l’équipage. On iroit là les examiner, on les mettroit au pas, à l’entre-pas ; on les feroit trotter, galoper, et, sans s’amuser à la belle encolure, qui souvent attrape les sottes, on ne prendroit que ceux qui ont bon pied, bon œil, et dont on pourroit tirer un bon service. »