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flattoit le plus le génie de sa maistresse ; bien que dans le monde elle passast pour prude, elle ne laissoit pas d’escouter volontiers les plaintes de ceux qui souffroient pour elle ; en un mot, elle estoit de ces femmes qu’on peut nommer prudo-coquettes, dont la race s’est si bien multipliée qu’on ne rencontre aujourd’huy presque autre chose. Il n’eut jamais tant à souffrir que sous cette derniere maistresse. Elle l’habilla d’abord fort proprement ; elle lui donna un habit et une calle bien gallonnée et passementée avec une garniture de rubans de trois couleurs, et, pour son nom de guerre, elle l’appela Gris de lin. Sa principale passion estoit la magnificence des habits, et sa propreté alloit dans l’excès ; elle n’avoit jamais souhaité d’avoir un esprit inventif que pour trouver de nouvelles modes et de nouveaux ajustemens. C’est ce qui aidoit merveilleusement à donner du lustre à sa beauté mediocre. À tout prendre, elle avoit un certain air joly et affeté, certains agrémens et mignardises qui la rendoient la personne du monde la plus engageante. Avec cela son plus puissant charme estoit une civilité et une complaisance extraordinaire pour les nouveaux venus, qu’elle redoubloit souvent pour retenir ceux qui commençoient de s’esloigner d’elle. D’autre côté, elle faisoit paroistre une grande severité pour ceux qu’elle avoit bien engagez, et qu’elle ne croyoit pas pouvoir sortir de ses liens. Jamais femme ne fut plus avide de cœurs. Il n’y en avoit


50. On appeloit ainsi une sorte de bonnet rond et plat qui ne couvroit que le sommet de la tête : « Les bedeaux, les pâtissiers, les petits laquais des femmes, portent des cales. » (Diction. de Trévoux, édit. 1732.)