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receue de la mère et de la fille, et à sa faveur Bedout le fut aussi. Et comme il n’estoit pas si bien mis que Nicodeme, et qu’il n’avoit pas la mine d’un cajolleur dangereux, madame Vollichon ne craignit point de le laisser seul avec sa fille, tandis qu’elle entretenoit Laurence, qui l’avoit adroitement tirée un peu à l’écart pour favoriser ce nouvel amant. Bedout, impatient de sçavoir le succès du grand effort de son esprit, dès les premiers complimens qu’il fit à Javotte, il luy demanda ce qu’elle disoit de la lettre qu’elle avoit receue, et pourquoy elle n’y avoit pas fait réponse. Elle luy répondit froidement qu’elle n’avoit point veu de lettre, sinon une pour son papa, qu’elle luy avoit portée, et qui y feroit réponse par la poste. Je ne vous parle pas de celle-là (repliqua-t-il) ; je vous parle d’une que vous a donné aujourd’huy mon laquais, et qui estoit pour vous-mesme. Pour moy (reprit Javotte en s’estonnant) ? hé ! les filles reçoivent-elles des lettres ? N’est-ce pas pour des affaires qu’on les écrit ? Et puis, qui est-ce qui me l’auroit envoyée ? Bedout luy dit que c’estoit luy qui avoit pris cette hardiesse. Vous (dit-elle) ! Et vous n’estes pas aux champs ? Vous me prenez bien pour une ignorante, comme si je ne sçavois pas que toutes les lettres viennent de bien loin par des messagers ? Nous en recevons tous les jours ceans, et mon papa ne fait que se plaindre de l’argent qu’il couste à en payer le port. Aussi bien, à quoy bon m’écrire ? Ne me direz-vous pas bien vous-mesme ce que vous voudrez, sans me le mander, puisque vous venez ici ? Aviez-vous quelque chose de si pressé à me dire ? Bedout, qui croyoit avoir fait une merveilleuse lettre, et qui en attendoit de grandes louanges, la prit au mot, en disant : Puis-