Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/114

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui ne dit mot semble consentir. Je ne sçais quelles sont vos loix (luy dit-elle) ; mais pour moy, je ne connois que les loix de mon papa et de maman. Mais (reprit-il) s’ils vous commandoient d’aymer un garçon connue moy, le feriez-vous ? Non (dit Javotte) : car ne sait-on pas bien que les filles ne doivent jamais aymer les garçons ? J’entends (repliqua Bedout) s’il estoit devenu mary. Ho, ho (dit-elle), il ne l’est pas encore ; il passera bien de l’eau sous les ponts entre-cy et là. La bonne mere, qui vouloit ce parti, qu’elle regardoit comme tres-advantageux, se mit de la partie, et luy dit : Il ne faut pas (Monsieur) prendre garde à ce qu’elle dit ; c’est une fille fort jeune, et si innocente qu’elle en est toute sotte. Ha, Madame (reprit Bedout), ne dites pas cela ; c’est vôtre fille, et il ne se peut qu’elle ne vous ressemble. Quand à moy, je trouve qu’il n’y a rien de tel que de prendre pour femme une fille fort jeune, car on la forme comme l’on veut avant qu’elle ait pris son ply. La mere reprend aussitost : Ma fille a toujours esté bien élevée, et je la livreray à un mary bonne ménagere ; depuis le matin jusques au soir elle ne leve pas les yeux de dessus sa besogne. Quoy (interrompit Javotte), faudra-t-il encore travailler quand je seray mariée ? Je croyois que quand on estoit maistresse on n’avoit autre chose à faire qu’à joüer, se promener et faire des visites ? Si je sçavois cela, j’aymerois autant demeurer comme je suis. À quoy sert donc le mariage ? Laurence, qui estoit adroite et malicieuse, se mit là dessus à luy dire : Non, non, Mademoiselle, n’ayez point de peur ; mon cousin est plus galant homme qu’il ne semble ; il a du bien assez pour vivre honorablement, sans que vous songiez tant à le ménager. Vous vivrez à vostre aise et fort en