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ceaux qu’elle laissoit à la servante et aux clercs pour leur souper. Un jour qu’elle alloit manger chez un de ses voisins, elle avoit oublié de leur laisser leurs bribes, de sorte qu’un des clercs fut deputé, qui luy alla demander la clef de l’armoire au pain, au milieu de la compagnie. Elle en rougit, et n’osa pas la luy refuser ; mais, quand elle fut au logis, elle luy fit de grandes reprimandes sur son indiscretion, et luy deffendit bien expressément de lui venir jamais demander la clef du pain quand elle seroit en quelque assemblée. Il retint bien cette leçon, et une autre fois qu’il arriva à la greffiere un pareil défaut de memoire, le mesme clerc luy vint dire devant tout le monde : Madame, puisque vous ne voulez pas qu’on vous demande la clef du pain, je vous prie au moins de nous ouvrir ici l’armoire ; et en mesme temps il fit entrer un crocheteur qui avoit l’armoire chargée sur son dos, ce qui fit éclatter de rire toute la compagnie. Peu apres, il arriva un petit incident de cuisine qui fit continuer la risée : car un barbier estuviste qui estoit de la feste, se piquant de faire des sauces, se mit en devoir de faire un salmigondis ; mais ayant mis chauffer le plat sur les cendres auprès du feu qui estoit trop ardent, un des bords du plat se fondit, et il s’y fit une échancrure pareille à celle des bassins à faire la barbe. Comme il le servit chaudement sur la table, un galant homme qui se trouva par hazard dans la trouppe dit assez plaisamment : Je sçavois bien que ce barbier maladroit nous donneroit icy un plat de son mestier. Ces rencontres, qui arriverent, par bonheur pour Bedout, lors qu’il rendit le bouquet28, furent


28. On disoit donner le bouquet quand on engageoit quel-