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JULIETTE ET ROMÉO

d’Espagne ; mais dans chacune de ses dents, plus blanches qu’un lis, on sculpterait un bénitier.

Enfin, le nez est prodigieux, fantastique, inouï. Il a plus d’un mètre de long ! C’est merveille de le voir se dresser comme une épée, se recourber comme un cor de chasse, se mouvoir comme un balancier, se dérouler comme une couleuvre.

Ce nez sans pareil, c’est son verre, c’est sa fourchette, c’est sa main, c’est son arme.

Il cueille nonchalamment l’herbe parfumée des prairies, déracine les arbrisseaux, fait pirouetter les léopards en l’air et débouche les bouteilles de champagne.

Je vous ferais injure, si je croyais avoir besoin d’ajouter qu’il s’agit d’une trompe et que Juliette est un Éléphant.

Son compatriote et son époux Roméo est plus haut, plus fort, plus grave et plus docile. On dirait, à le voir, un pan de muraille, une tête de granit et des pieds de fonte.

Pour le faire parvenir au balcon de Juliette, je ne vois guère que le grand escalier du Trocadéro.

Roméo a la force de dix bœufs et la douceur d’un agneau. Juliette le sait bien, et elle en abuserait peut-être, si la tendresse de Roméo n’était tempérée je ne sais par quelle dignité prudente et virile.

Il se fait obéir comme il se fait aimer, met le holà à ses caprices par un cri assez bref, et modère au besoin ses vivacités féminines d’un léger coup de trompe, quelque chose comme une petite tape sur la joue.

Ce n’en est pas moins un ménage excellent, et j’incline à dire qu’en ces temps de discordes et de vengeances conjugales, on pourrait fort bien le proposer comme modèle.

J’ai eu l’honneur d’assister au petit lever de Juliette et