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L’HOMME À L’HISPANO

frêle et bizarre comme des cris d’oiseaux, avec on ne sait quelle langueur, quelle nostalgie de désert et de palmes, deux nègres chantaient, accompagnés de leurs banjos. Les lointaines étoiles, la terrasse, la présence de la mer en contre-bas, tout fournissait l’impression d’un entreciel. Pascaline et Mme de Jouvre dansaient, Deléone et sa femme, à une table voisine, bavardaient avec des amis ; Georges Dewalter et Stéphane étaient isolés dans une fébrile et rare solitude. Elle se sentait bien heureuse. Mais, peu à peu, le calme revenu, le silence grandissant, peut-être augmenté par les chansons d’Afrique, la douceur presque inquiétante et comme insolite de la nuit, rendait à Dewalter la perception de la vérité. À mesure que l’heure s’avançait, il recommençait à la savoir fragile. Il ne bougeait pas. Vaguement, il lui semblait qu’un seul geste allait tout faire s’évanouir… Il resta longtemps sans paroles, dans une joie maintenant amère. Elle jouait avec une rose et le contemplait.

Soudain, il pâlit. Il saisit les mains de Stéphane et les baisa avec dévotion, d’un mouvement brusque, dans une espèce de frénésie frémissante. Elle sourit, surprise. Alors, il releva la tête et vit qu’il l’étonnait. Il balbutia, sans bien savoir :

— Vous ne pouvez pas comprendre mon émotion… Merci.

Et, une seconde fois, il refit le même geste.