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L’HOMME À L’HISPANO

Moins gai, il caressait les cheveux de l’enfant et regardait sa mère avec tendresse, de ses yeux doux et passionnés. Auprès de cet inconnu, Georges riait moins qu’auprès de l’étranger du dimanche. Cependant il l’aimait davantage. Tous les trois, sa mère, cet homme et lui, ils allaient en barque vers Triel. Une fois, ils rencontrèrent un monsieur hargneux et pensif, l’air d’un vieux chien dressé sur ses pattes de derrière. On dit à Georges que c’était M. Zola, qui avait écrit : Une Page d’amour. C’est un titre qu’il n’oublia plus. Quand il eut dix ans, son grand ami de la semaine s’en alla, après l’avoir pris dans ses bras et l’avoir embrassé en pleurant. La mère en larmes regardait son fils et elle lui dit qu’il s’agissait d’un long voyage indispensable dans un pays du côté de Pékin. Deux années après, elle préparait en secret de grandes malles pour aller rejoindre l’exilé, quand elle reçut une dépêche. Elle l’ouvrit et demeura quelques instants inanimée. Ils étaient seuls dans la maison. Une servante était au marché ; une autre, au bout du jardin, faisait une lessive. Georges eut le sang-froid de ne pas appeler. Il comprit que la dépêche venait de leur ami. Il y jeta les yeux et vit qu’il était mort. C’était le lacet de soie de la destinée. On dispersa les malles inutiles ; une femme, désormais triste, vécut, n’ayant plus que son fils, souvenir vivant, et le spectre de son bonheur, étranglé méchamment par les dieux obscurs de la Chine.