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DE JEAN BOUCIQUAUT. — PARTIE II.

fust si hardy de point en avoir, ne tenir en sa maison, ne porter couteau, fors à couper pain. Si leur convint à ce obéir, quoy que il leur pesast. Or purent à ceste fois congnoistre les Jenevois que main de maistre les gouvernoit. Si véissiez incontinent porter au palais à grans presses harnois de toutes parts, dont moult en y avoit et grand foison de beaux et de riches. Et le saige gouverneur les fit bien et bel mettre en sauveté, et les bien garder. Et aussi leur fit deffense, sur la dicte peine, que nul ne fust si hardy de tenir couteau, ne eux assembler en parlement, en église ne aultre part.

CHAPITRE VII.

Cy dit comment le mareschal parla saigement aux Genevois au conseil.

Le lendemain, sans plus de demeure, furent tous les plus notables et principaux hommes de Jennes assemblés avec le mareschal à conseil. Et adonc parla à eulx par saige maintien ; et en discrètes et rassises paroles leur dit : comment le roy son souverain seigneur l’avoit là envoyé à leur requeste, dont il les remercioit de la bonne opinion et fiance que ils avoient en luy ; et que, pour secourir à la désolation en quoy ils estoient pour cause de ceux de mauvaise volonté qui estoient entre eulx, lesquels persécutoient les bons, estoit là envoyé afin de punir les mauvais, et les bons tenir en paix, et faire justice à tout homme. Pour laquelle chose accomplir vouloit forces avoir, et toute sa puissance sans nulle espargne y employer, à l’honneur du roy et de luy, et au profit d’eulx. Et pour ce les requéroit et prioit, que vrais et loyaux subjects voulsissent estre tousjours au roy de France, comme ils avoient promis ; et que si ainsi le faisoient, ils fussent seurs et certains que il les défendroit de toute sa puissance, à l’aide de Dieu, contre tous ennemis, maintiendroit justice, et en paix et équité les tiendroit, et à son pouvoir accroistroit le bien et utilité publique. Mais au cas que il pourroit sentir, sçavoir ou appercevoir le contraire en eulx ou en aulcun d’eulx, et quelque machination d’aucune trahison ou forfaiture contre la royale majesté ou contre luy, que ils sceussent de vray, et tous seurs se tenissent, que il n’y auroit si grand, que il n’en fit telle punition que les aultres y prendroient exemple ; mais si preud’hommes et loyaulx subjects vouloient estre, que ils ne doublassent point de luy. Et nonobstant que ils fust estably leur gouverneur et chef, ne pensassent que il voulsist envers eulx user d’arrogance ne maistrise rigoureuse, par voye de fait et à sa volonté ; car ce n’estoit mie son intention, ains vouloit estre avec eux paisible comme citoyen et ami de Jennes, et user de leur loyal conseil, sans lequel rien ne pensoit d’establir ne faire chose quelconque touchant la police et gouvernement du pays. Telles paroles, et assez d’autres belles et bonnes, leur dit le saige gouverneur, pour lesquelles, et pour son bel et honnorable maintien, réputèrent et prisèrent moult son sçavoir, et très contens en furent. Si le remercièrent moult, et offrirent corps et biens, et féauté et loyale obéissance, comme bons subjects du roy de France leur seigneur, et à luy son vicaire et lieutenant leur gouverneur. Après ces paroles parlèrent de plusieurs choses. Et là lui furent accusés les principaux conspirateurs et machinateurs de trahisons, et qui tousjours avoient esté cause de rébellion, et mesmes de tels y avoit qui lui estoient allés au-devant et fait la révérence dès Milan. Et par espécial un nommé messire Baptiste Boucanegra, qui avoit traicté de faire occire tous ceulx qui estoient à Jennes de par le roy, et s’estoit voulu attribuer la seigneurie de Jennes. Iceluy Boucanegra et aucuns des autres ses complices des principaulx, ordonna le gouverneur prendre. Lequel commandement fut tost exécuté, dont celuy fut moult esbahy quand il vit mettre la main à soy, de par le roy et de par le gouverneur ; car pour la grande authorité dont il se réputoit, ne pensoit que nul osast s’adresser à luy : mais tout ce rien ne lui valut.

Mais le saige gouverneur qui bien sçavoit que par delà les lignaiges s’entrehayent, et ont envie les uns sur les autres, ne voult pas pour quelque accusation que on fist d’eulx, leur garder rigueur de justice sans suffisante information de leurs faits ; laquelle fut faicte très diligemment. Et bien fit examiner les dicts prisonniers ; lesquels, après le rapport de la suffisante enqueste, et la confession de leur propre bouche, furent trouvés coulpables. Pour laquelle chose iceluy Baptiste, tant fust-il de grande auctorité, afin que les aultres exemples y preinssent, et deux aultres avec luy, furent dé-