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LIVRE DES FAITS

luy le seigneur de Linières et messire Jean de Linières son fils. Le seigneur de Chasteaumorant, l’Ermite de la Faye, le seigneur de Montenay, messire François d’Aubrecicourt, messire Robin de Braquemont, messire Jean de Torsay, messire Louys de Culan, messire Robert de Milly, Messire Louys de Cervillon, messire Renault de Barbasan, messire Louys de Lugny, messire Pierre de Grassay qui puis porta la bannière de Nostre-Dame, et autres plusieurs bons chevaliers et escuyers de grand renom allèrent avec eulx, desquels je passe les noms pour cause de briefveté. Ainsi alla par mer le mareschal, tant qu’il vint prendre port à Savonne, et là fist toutes ses ordonnances ; et ordonna ses capitaines, et bailla à chascun telle charge que bon luy sembla, puis se partit de là pour aller à son voyage. Et ainsi comme il alloit, luy fut rapporté comment cinq galées des gens de messire Lancelas tenoient le siége devant une ville et bel chastel qui sied en une petite isle près de Naples, appellée Capri, laquelle dicte ville et chastel se tenoient pour le roy Louys. Si tost qu’il sceut ceste chose, il dist à ses gens qu’il vouloit aller secourir le chastel du roy Louys, et que chascun se mist en ordonnance. Si tira celle part : mais quant il y fut arrivé il trouva que ceulx du dict chastel s’estoient jà rendus ; toutesfois leur offrit-il son ayde contre les autres, et que ils se retournassent devers leur partie : mais le capitaine le refusa, comme traistre que il estoit au roy Louys. Et bien le monstra : car il jetta hors certains François qui léans estoyent, et le mareschal les recueillit et emmena avec luy. Mais il ne se tint mie à tant, ains alla pour escarmoucher les dictes galées, et icelles fuirent devant luy. Et comme il s’en retournoit et estoit remis en son chemin, il rencontra le comte de Peraude, lequel tenoit le party de Lancelas, auquel il donna la chasse, tant que par force les fit férir en terre, et saillir hors et s’enfuir ; et nos gens gaignèrent le navire et tout ce qui estoit dedans. Et ce fait se remit en son chemin et tira au royaume de Cecile, et alla descendre en une cité appellée Messine.

CHAPITRE XXX.

Comment le mareschal s’en alla par mer à belle compaignie, et l’affaire qu’il eut aux Sarrasins.

De Messine se partit le mareschal sans y faire longue demeure, et s’en alla descendre en la ville et isle de Scion, où il cuidoit, parce que on luy avoit donné à entendre, trouver les huit galées des Vénitiens qui debvoient estre envoyées au secours de l’empereur de Constantinoble comme dict est. Mais il ne les y trouva pas, et luy fut dict que il les trouveroit en un lieu appelé Négrepont. Si se partit de Scion pour les aller là cercher, et en son chemin passa par le seigneur de Metelin qui à joie le receut. Toutesfois il luy dit que il avoit faict à savoir aux Turcs sa venue, pour non rompre les convenances et pactis que il avoit avec eulx. Mais de ce ne fit compte le dict mareschal, et dict que de par Dieu fust. Non pourtant dict celuy seigneur de Metelin qu’il s’en iroit avec luy en ce voyage. Quand le mareschal fut à Négrepont il ne trouva pas les dictes galées, si voulut là un peu attendre ; et luy sembla que bon seroit de faire à sçavoir à l’empereur sa venue, afin que il apprestast son armée pour aller tantost courir sus aux Sarrasins. Si fit monter sur deux galées, en l’une le seigneur de Chasteaumorant, et en l’autre le seigneur de Torsay, pour aller à Constantinoble faire le dict messaige. En la galée du seigneur de Chasteaumorant fut, entre les autres bons et vaillans, un noble escuyer du pays de Bourgongne, nommé Jean de Ony, escuyer d’escuyrie du duc de Bourgongne, appert homme, hardy et de grand vasselaige en faict d’armes, et qui jà moult avoit traveillé et s’estoit trouvé en maintes bonnes places, lequel, pour toujours croistre son pris et los de mieulx en mieulx, s’estoit mis en la compaignie du mareschal en iceluy voyage, pource que tant vaillant le savoit, que il estoit certain que mieulx ne pouvoit employer son temps que avec luy. Mais pas n’y alla en vain, car avant le retour y esprouva son corps vaillamment, si comme en aucuns lieux cy après sera dict. Au partir du port, afin que les dictes galées n’eussent empeschement, le mareschal les convoya jusques à la vue de Galipoli, et de là ne se bougea afin de les secourir si aulcune chose leur advenoit. Et en ce monstra bien son bon sens et advis et grande bonté, de vouloir secourir ses gens si mestier