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DE JEAN BOUCIQUAUT. — PARTIE I.

et le mareschal, afin que les Anglois eussent honte de plus rompre les trefves, firent venir devant eulx tous les capitaines Anglois qui au pays tenoient chasteaux et forteresses, et leur firent promettre et jurer de loyaument tenir et garder les trefves : et ces choses faictes s’en revindrent en France. Mais l’an après, les Anglois, qui petit ont accoustumé de tenir ce qu’ils promettent, prindrent derechef sus les dictes trefves deux forteresses ès marches de Xainctonge et d’Angoulesme, l’une appellée Cor, et l’autre la Roche. Si les tenoit et gardoit contre le roy un appellé Parot le Biernois. Si fut ordonné par le roy que le mareschal iroit, à tout cinq cents hommes d’armes pour les assiéger : mais le roy luy commanda que ainçois il allast à Bordeaux requérir au duc de Lanclastre qui là estoit, qu’il luy fist délivrer icelles forteresses qui sus les trefves avoient esté prises. Ce commandement bien retint le mareschal. Si s’en alla à tout sa compaignée droict à Bordeaux, et là trouva le duc de Lanclastre qui le receut à moult grand honneur et bonne chère. Le mareschal lui fit bien et saigement sa requeste, disant comment ce pouvoit tourner à petit honneur aux Anglois d’ainsi rompre les trefves, et d’aller contre ce qui avoit esté promis et juré, et que il lui feist rendre les forteresses qui sus les convenances et en rompant les dictes trefves avoient esté prises. De ceste chose luy fit honnorable responce le duc de Lanclastre, en luy disant que ce n’avoit esté fait mie de son consentement, ne que oncques n’en avoit rien sceu. Si luy en promettoit restitution plainière, et en faire telle amende comme il luy plairoit. Si manda tantost à celuy Parot le Biernois que incontinent rendist les forteresses et amandast les forfaitures, où il mesme l’iroit assiéger. Si furent tantost rendues les dictes forteresses, et restitué le dommaige. Et le mareschal demeura toute celle saison au pays, où il se trouvoit souvent, en celuy temps de trefves, avec les Anglois qui pour sa valeur moult l’honnoroient. Et là estoit parlé entre eulx souventes fois de maintes armes et faicts de chevalerie. Si s’en retourna après devers le roy.

CHAPITRE XXI.

Cy commence à parler du voyage de Hongrie, comment le comte d’Eu admonesta le mareschal d’y aller.

Après ces choses le voyage de Hongrie fut mis sus. Et pour ce que ce fut une entreprise de grand renom, et dont plusieurs gens ont désiré et désirent savoir du fait toute la manière et la pure vérité de la chose, pour cause que en plusieurs manières, et différemment l’une de l’autre, on en devise, me plaist et assez faict à nostre propos que je devise de long en long, depuis le commencement jusques à la fin, tout le contenu de la vérité d’iceluy voyage, et comment il mut premièrement. Si est à savoir que le comte d’Eu, cousin prochain du roy de France, avoit, comme vaillant chevalier qu’il estoit et grand voyageur selon son jeune âge, jà esté en plusieurs parts aval le monde en maints honorables voyages. Entre les autres avoit esté en Hongrie, et le mareschal avec luy, si comme cy devant avons compté. Si l’avoit le roy de Hongrie moult honnoré en son pays, et à lui faict grande amitié et maint signe d’amour. Pour laquelle alliance et affinité, le dict roy de Hongrie luy manda et fit savoir par un hérault : que Basat venoit sur luy en son pays à bien quarante mille Sarrasins, dont les dix mille estoyent à cheval, et les trente mille à pied. Si avoit délibéré de leur livrer la bataille. Et pour ce, comme tout bon chrestien et par espécial tous vaillans nobles hommes doivent désirer eulx traveiller pour la foy chrestienne, et volontiers et de bon cœur aider à soustenir l’un l’autre contre les mescréans, il luy requéroit son aide ; et aussi le prioit que il le fist à savoir au mareschal Bouciquaut, en la bonté et vaillance duquel il avoit grande fiance, et ainsi le voulust annoncer à tous bons chevaliers et escuyers qui désiroient accroistre leur honneur et leur vaillance. Car moult estoit le voyage honnorable, et aussi avoit grand besoing de leur secours et aide. Quant le comte d’Eu eut ouy ces nouvelles, tantost il le dict au mareschal, lequel incontinent et de cœur délibéra d’y aller. Si respondit que au plaisir de Dieu il iroit sans faille ; car à ce estoit-il mu pour trois raisons. L’une pour ce que il désiroit plus que autre riens estre en bataille contre Sarrasins. L’autre pour la bonne chère que le roy de Hongrie luy avoit faicte en son pays. Et la tierce