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DE JEAN BOUCIQUAUT. — PARTIE I.

CHAPITRE XI.

Comment messire Bouciquaut, après le retour de Prusse, alla avec le duc de Bourbon devant Taillebourg et devant Bertueil, qui furent pris, et autres chasteaux en Guyenne.

Au temps de lors les Anglois occupoient moult le royaume de France en plusieurs lieux, c’est à savoir maintes villes et chasteaux que ils tenoient par force, tant en Picardie, comme en Guyenne et autre part. Combien que, Dieu mercy ! par la vaillance des bons François jà en estoit le pays moult descombré, et tousjours alloit en amendant au proffit du roi de France, par les bons vaillans qui peine y mettoient. Entre lesquels bons et vaillans estoit le bon duc de Bourbon dessus nommé, qui aux dicts Anglois faisoit souvent maintes envahies, dont il yssoit à son honneur. Et pour ce, comme dict le proverbe commun : que chacun aime son semblable ; pourtant qu’il estoit bon, aimoit-il moult chèrement Bouciquaut, pour cause qu’il le voyoit en hardement et vaillance passer tous les jouvenceaux de son âge. Si le tenoit volontiers près de luy, et grand plaisir avoit que il fust en sa compaignie. Si avint, en la saison après que le dict Bouciquaut fut retourné de Prusse, comme dict est, que le duc de Bourbon s’appresta pour aller en Guyenne, mettre le siége devant aucuns chasteaux que les Anglois tenoient. Si mena avec luy moult belle compaignie. C’est à sçavoir mille cinq cent hommes d’armes et foison de traicts. En celle compaignie ne s’oublia pas le bon Bouciquaut, qui moult envis eust demeuré derrière. Ains, tout ainsi que les belles dames ont coutume se resjouir d’aller à feste, ou les oiseaux de proye quand on les laisse voler après la proye, se resjouissoit celuy gracieux jouvencel d’aller en armée. Quand le duc de Bourbon fut en Guyenne, il mit te siége devant Taillebourg, qui moult estoit fort chastel, et fut prins par force. Puis alla mettre le siége devant Bertueil, qui est une forteresse de grand force, et là trouvèrent moult grand défence. Là fut faicte une mine dessoubs terre, laquelle fut si bien continuée que elle perça le mur du chastel, tant que les ennemis la vindrent défendre ; et là endroict, à estriver contre les dicts ennemis, fut des premiers Bouciquaut, qui à pousser de lance et d’espée main à main vaillamment se combatit, et longuement y souffrit ; en telle manière que, par luy et parceulx qui le suivoient, fut pris le dict chastel, où moult eut grand honneur Bouciquaut, et moult l’en prisèrent ses bons amis. Après ces forteresses prises, le duc de Bourbon alla devant un autre fort chastel, appelé Mauléon. Là fut livré fort assault, et au dernier fut pris par mine et par eschelles, où furent faictes moult de belles armes. Le premier en eschelle fut Bouciquaut, qui longuement se combatit, et tant que, nonobstant les pesans coups que on lui lançoit d’amont, tant de pierres comme d’espées, nul ne le put garder que il ne fust des premiers sur le mur ; et là fit tant d’armes que plus faire n’en pourroit. Ces choses faites, le duc de Bourbon alla devant un autre chastel appelé le Faon ; mais la prise des autres forts chasteaux espouventa ceulx qui dedans cestuy estoient, pource que ils voyoient que moult estoit le capitaine et sa compaignie vaillans. Si n’osèrent attendre l’assault, ains se rendirent à la volonté du bon capitaine ; et pareillement se rendit au duc de Bourbon un autre fort chastel appelle le Bourg Charente. Pour ce que tout ne se peut dire ensemble, convient parler des matières l’une après l’autre. Si est à sçavoir que, tandis que le siége duroit devant Bertueil, vindrent nouvelles en l’ost que les Anglois s’estoient assemblés pour aller combatre une forte église de Notre-Dame. Ces choses ouyes, s’assemblèrent une compaignée de chevaliers et escuyers désireux d’accroistre leur honneur et renommée, et dirent que ils leur seroient au devant. Bouciquaut, qui autre chose ne quéroit fors advanture d’armes, voulut estre de la route, et tant qu’ils furent par route trente chevaliers et escuyers, tous de grande renommée. De ceste compaignie fut capitaine et conduiseur, pour ce que le pays savoit, et les destours, et les adresses, un chevalier, qui au dict siége estoit, que on nommoit messire Émery de Rochechouart. Si montèrent tantost à cheval les trente bons gentils hommes, bien habillés de leurs harnois ; et tant allèrent par destours que ils vindrent à rencontrer les Anglois, qui garde d’eulx ne se donnoient, et bien estoient en nombre soixante dix. Tantost s’entre-coururent sus, et forte et aspre fut la bataille, qui n’estoit mie pareille ; car plus du double les Anglois estoient ; mais nonobstant ce, tant s’y portèrent vaillamment les nostres, et tant fit bien chacun endroict soy, que les Anglois furent à la parfin tous morts et desconfits, ex-