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DE SIRE JEAN FROISSART.

soir loger à l’hôtel à l’Étoile, et là tenus tout aise.

Quand ce vint sur le souper, le châtelain de Mauvoisin, qui s’appeloit messire Raymond des Landes, nous vint voir et souper avecques nous, et fit apporter en sa compagnie quatre flacons pleins de blanc vin, aussi bon que j’en avois point bu sur le chemin. Si parlèrent ces deux chevaliers largement ensemble ; et tout tard messire Raymond partit et retourna arrière en son châtel de Mauvoisin.

Quand ce vînt au matin[1] nous montâmes ès chevaux, et partîmes de Tournay. Et passâmes à gué la rivière de Lèse, et chevauchâmes vers la cité de Tarbes[2]. Et entrâmes en Bigorre ; et laissâmes le chemin de Lourdes et de Bagnières et le châtel de Montgaillard à senestre, et nous adressâmes vers un village que on dit au pays le Civitat[3], et le cotoyâmes, et vînmes dans un bois, en la terre du seigneur de Barbesan, et assez près d’un châtel que on dit Marcheras, à l’entrée du Pas de Larre ; et tant que le chevalier me dit : « Messire Jean, vez ci le pas au Larre. » Adonc avisai-je et regardai-je le pays ; si me sembla moult estrange. Et me tinsse pour perdu, ou en très grand aventure, si ce ne fût la compagnie du chevalier. Et me revinrent au devant les paroles que il m’avoit dites, deux ou trois jours avant, du Pas au Larre et du Mongat de Lourdes, et comment il mourut. Si lui ramenteus et lui dis : « Monseigneur, vous me dites devant hier que quand nous venrions au pas de Larre, vous me conteriez la matière du Mongat de Lourdes et comment il mourut. » — « C’est voir, dit le chevalier. Or chevauchez de lez moi et je le vous conterai. » Adonc m’avançai-je et me mis de-lez lui pour ouïr sa parole, et il commença à parler et dit ............


« Si emportèrent ceux de Lourdes le Mongat tout occis, et les François à Tarbes, Ernauton Bissette. Et pour ce qu’il fût remembrance de la bataille, on fit là une croix de pierre où ces deux écuyers s’abattirent et moururent. Velà là. Je la vous montre. »

À ces mots chéîmes nous droit sur la croix ; et y dîmes nous chacun pour les âmes des morts, un Pater noster, un Ave Maria, un De profundis et Fidelium.

« Par ma foi, monseigneur, dis-je au chevalier, je vous ai volontiers ouï parler, et ce fut oirement une dure et âpre besogne à si petit de gens. Et quelle chose avint-il à ceux qui conduisoient la proie ? » — « Je le vous dirai »  » dit-il. .........................

(T. ii, p. 390.)


Moult me tournoient à grand plaisance et récréation les contes que messire Espaing de Lyon me contoit ; et m’en sembloit le chemin trop plus brief. En contant telles aventures passâmes nous le Pas au Larre et le châtel de Marcheras où la bataille fut, et vînmes moult près du châtel de Barbesan qui est bel et fort, à une petite lieue de Tarbes. Nous le véions devant nous, et un très beau chemin et plain à chevaucher, en côtoyant la rivière de Lisse, qui vient d’amont des montagnes.

Adonc chevauchâmes nous tout souef et à loisir pour rafraîchir nos chevaux. Et me montra par de là la rivière le chastel et la ville de Montgaillard, et le chemin qui s’en va férir droit sur Lourdes. Lors me vint en remembrance de demander au chevalier comment le duc d’Anjou, quand il fut au pays et que le chastel de Mauvoisin se fut rendu à lui, s’étoit porté, et comment il étoit venu devant Lourdes, et quelle chose il y avoit fait. Trop volontiers il le me conta, et dit ainsi : .........................

(T. ii, p. 391)


« Hà ! Sainte Marie, dis-je au chevalier, et ne fut-ce pas grand cruauté au comte de Foix, ce que vous me contez de là avoir mis à mort Pierre de Béarn ? » — « Quoique ce fu, répondit le chevalier, ainsi en advint-il. On s’avise bien de lui courroucer, mais en son courroux n’a nul pardon. Il tint son cousin germain, le vicomte de Castelbon, et qui est son héritier, huit mois en la tour à Orthez en prison, et puis le rançonna-t-il à quarante mille francs. » — « Comment, sire, dis-je au chevalier, n’a donc le comte de Foix nuls enfans, que je vous oys dire que le vicomte de Castelbon est son héritier ? » — « En nom Dieu ! dit-il, non de femme épousée ; mais il a bien deux beaux jeunes chevaliers bâtards que vous verrez, que il aime autant que soi-même : messire Yvain et messire Gratien. » — « Et ne fut-il oncques

  1. Le 23 novembre.
  2. Chef-lieu des Hautes-Pyrénées.
  3. Cieutat, entre Tournay et Bagnères.