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LIVRE IV.

arrêtèrent tout cois. Adonc retourna chacun chevalier sur son lez, sans perdre ni jeter à terre leurs glaives, mais les rapportèrent franchement devant eux, et puis les mirent en l’arrêt ; et éperonnèrent les chevaux qui étoient assez forts, bons et roides. Si vinrent l’un contre l’autre et s’encontrèrent, mais ce fut en croisant, par la coulpe des chevaux non des chevaliers. En passant outre, pour faire leur tour, les glaives leur chéirent. Cils furent prêts qui les relevèrent, et qui rendit à chacun chevalier la sienne. Lors que ils les eurent, ils les mirent en l’arrêt et éperonnèrent les chevaux ; et à ce qu’ils montroient ils ne se vouloient pas épargner, car ils étoient échauffés. Le chevalier d’Angleterre cousuivit messire Regnault de Roye à mont sur le heaume et lui donna un coup moult dur ; autrement il ne le dommagea ; et messire Regnault le férit en la targe, si fort et si roide en boutant, et de si bon bras, car pour le temps de lors il étoit un des forts et des roides jouteurs du royaume de France, et si amoit par amour jeune dame belle et frisque dont en tous états son affaire valoit grandement mieux, si perça la targe au chevalier au senestre lez, et le bras tout outre, et en passant le glaive rompit, et en alla la greigneur partie à terre, et le moindre, tronçon demeura en la targe et le fer au bras ; pour ce ne laissa pas le chevalier à faire son tour et revint sur son lez moult franchement. Ses compagnons entendirent à lui ; et fut le tronçon atout le fer tiré hors et le bras étanché et lié ; et messire Regnault de Roye retourna entre ses gens et se tint là en appuyant sur un glaive que on lui eut rendu.

De celle joute fut messire Regnault de Roye moult prisé entre ses gens. Aussi fut-il entre les Anglois. Oncques nul ne lui en dit vilenie, combien que blessé eût le chevalier, car les aventures d’armes sont telles. À l’un en chiet bien, à l’autre en chiet mal. Et aussi ils joutoient sans nul épargner.

Après se trait avant un écuyer anglois qui se nommoit Blaquet ; et envoya heurter à la targe de guerre du seigneur de Saint-Py, lequel étoit tout prêt et monté sur son cheval d’avantage, et la targe au col, toute bouclée. Si prit son glaive et se trait avant, pour répondre à l’écuyer et faire armes, ainsi comme il le demandoit. Ils éperonnèrent les chevaux et abaissèrent les glaives et les joignirent de près dessous leurs bras. Ce premier coup ils se consuivirent ès heaumes moult dur, mais les fers vidèrent ; ils passèrent outre et perdirent leurs glaives. Si retournèrent chacun sur son lez. Ils n’y séjournèrent point longuement. On leur rendit leurs glaives ; ils les mirent en arrêt et puis éperonnèrent les chevaux de grand randon et en venant. À ce qu’ils montroient, ils étoient en grand’volonté de faire la besogne ; mais en approchant, les chevaux croisèrent, et ne se consuivirent que un trop petit ; et passèrent outre et firent leur tour ; et puis s’en revint chacun sur son lez. Guères n’y séjournèrent, quand ils eurent les lances et mises en arrêt ; ils éperonnèrent et vinrent de celle joute l’un sur l’autre. Blaquet consuivit le sire de Saint-Py de son glaive à mont sur le heaume et lui donna un coup moult dur, et Saint-Py le férit en la lumière du heaume un coup plus dur, car il le désheauma tellement que la boucle à laquelle le heaume étoit affermé par derrière rompit, et chéy sur la prée, et puis ils passèrent outre. Si s’en retourna l’écuyer devers ses gens et ne fit plus de joute pour ce jour ; et le sire de Saint-Py se tint tout franc sur son cheval, appuyé sur son glaive, attendant les armes et qu’il fût admonesté de faire ailleurs sa joute, ainsi comme il appartenoit.

Après se trait avant un gentil chevalier d’Angleterre bien joutant et travaillant, qui s’appeloit messire Jean Bolton, et envoya heurter par un sien écuyer à la targe de guerre du seigneur de Saint-Py. Cil répondit, car il étoit tout prêt et jà monté d’avantage sur son cheval, et la targe au col, toute bouclée. On lui bailla son glaive ; il le prit et mit en arrêt. Tous deux éperonnèrent ; si se encontrèrent et férirent sur les targes de grand’volonté ; et merveille fut que ils ne les percèrent, car les lances étoient fortes, et les fers durs et bien trempés ; mais ils passèrent outre sans rompre glaives ni eux porter dommage, mais les glaives leur chéirent. Cils étoient appareillés qui les dressèrent et leur rendirent. Quand ils furent sur leur lez pour recouvrer joute, ils abaissèrent les glaives, éperonnèrent les chevaux et vinrent l’un sur l’autre, et se consuivirent sur les heaumes, mais point de dommage ne se portèrent ; si passèrent outre. De la tierce lance les chevaux croisèrent. La quatrième lance le sire de Saint-Py désheauma messire Jean Bolton moult durement ; et le chevalier an-