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DE SIRE JEAN FROISSART.

Que je n’avoie nul séjour.
Se me mettoit et nuit et jour
Une heure en joie, et l’autre non.
De moi tenoie près le don
Que m’ot donné la damoiselle
Au partir, Dieu merci à elle !
Car moult me plaisoit à véoir ;
C’estoit le plaisant miréoir.
Ce me donnoit joie et confort,
Et pensement aussi moult fort ;
Car quant ou miréoir miroie
Sus ma dame pas ne miroie,
Ançois disoie : « En ceste glace
« Se miroit ceste qui me lace
« Le coer, et tient sougit sous soi.
« Las ! son douc vis plus ne persoi.
« Pluisours fois s’est yci mirés ;
« Mès de ce suis-je moult yrés
« Que je ne le puis percevoir,
« De tout ce ensi es-ce voir
« Par figure, pour vérité,
« Qu’un ombre qui vient sus clarté ;
« Ci est lumière, et puis vient ombre
« Qui le temps fait obcsur et sombre.
« Las ! pourquoi de madame chiere
« Quant je regarde la maniere
« Dou miréoir, n’ai le regart
« De la façon. Se Diex me gart !
« Je vodroie qu’il peuist estre
« Que je ressamblasse le mestre
« Qui fist le miréoir à Romme
« Dont estoïent véu li homme
« Qui chevauçoïent environ.
« Se le sens avoie ossi bon
« Que cils que le miréoir fist
« En cesti ci, par Jhesu-Crist !
« En quelconques lieu que g’iroie
« Ma dame apertement veroie. »
Ensi devisoie à par mi.
Dont pluisours fois, par saint Remi !
Prendoie en parlant tel plaisance
Qu’il m’estoit avis, par samblance,
Que je véoie, au dire voir,
Ma dame ens ou mien miréoir.
Tamainte consolation
Me fist l’imagination
Dou miréoir et de la glace
Où ma dame ot miré sa face,
Et le tenoïe moult proçain
Tant de mon coer que de mon sain.
Jamais je n’en fuisse senoec,
Que tout dis ne l’euisse avoec
Moi, en quel part que j’estoie ;
Car au regarder m’esbatoie ;
C’estoit mon bien et mon delit.
De quoi il avint qu’en mon lit
J’estoie en une nuit couchiés,
Des pensers d’amours atouchiés,
Sous mon orillier je l’oc mis.
En pensant à ce m’endormis.
Dont vis me fu, en mon dormant,
Qu’en une chambre bien parant,
Bien aournée et bien vestue
De tapisserie batue
Tous seules illoec m’esbatoie.
Et ensi qu’en la chambre estoie,
Ceste par vinc, et ens regarde ;
De mon miréoir me prenc garde ;
Que g’i vois l’impression pure
De ma dame et de sa figure
Qui se miroit au miréoir,
Et tenoit d’ivoire un treçoir,
Dont ses chevelès demi lons
Partissoit, qu’elle ot beaus et blons.
J’en fui esmervilliés forment ;
.................
Je ne vosisse estre aultre part
Adont dou miréoir me part,
Car d’encoste moi le cuidoie.
Qui bien aime, c’est drois qu’il doie
Regarder à ce qu’il désire ;
Je n’oc ne maltalent ne ire ;
Ains di : « Ma dame, où-estes vous ?
« Pardonnés moi, fins coers très douls,
« Ce que sus vous suis embatus. »
Lors le cuidai véoir, sans plus
Dire à li lors ne mos ne vers ;
Mès il m’en fu tout au revers,
Car en fourme ne le vi pas.
Si fis-je en la chambre maint pas
Et le quis à bon escient
Par tout, mès ne le vi noïent.
Puis m’en revins au miréoir
Et encores l’alai véoir ;
Lors di : « Veci chose faée !
« Certes, dame, forment m’agrée
« Quant piner vous voi vos cheviaus ;
« Se vous jués aux reponiaus
« Faites au moins que je vous trouve ;
« En nom d’Amour je le vous rouve. »
Adont les fenestres ouvri
Et tous les tapis descouvri
Pour savoir s’elle s’i mettoit,
Mès vraiement pas là n’estoit.
Non-pour-quant ens ou miréoir
Le pooie pour voir véoir.
Là disoie en moi : « Cest fantomme
« Non est ; car jà avint à Romme
« De deux amans luerre pareille ;
« Tele si n’est pas grant merveille