Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/486

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
480
BIOGRAPHIE

Pourtant fait bon eslire un vivre
Entroes, com est dou prendre en point
Qu’on ne faille à sa santé point,
Pour amer par amours, l’entens.
Mieuls ne poet employer le tems
Homs, ce m’est vis, qu’au bien amer ;
Car qui voelt son coer entamer
En bon mours et en nobles teches,
En tous membres de getilleces,
Amours est la droite racine ;
Et coers loyaus qui l’enracine
En soi, et point ne s’outre-cuide,
N’i poet avoir l’entente vuide
Qu’il ne soit gais et amoureus,
Et aux biens faire vertueus.
Car qui n’aimme, ou qui n’a amé,
Quoi qu’on ait l’homme en ce blasmé,
Jà n’aura vraie cognoissance,
Ne en bonnes vertus puissance.
Mès les aucuns ensi opposent
Qu’il sont amé, puis qu’amer osent.
Nennil, Amours de celle part
Ne prendera jà au coer part
Qui le voelt par cuidier avoir ;
Oultre-cuidance est non savoir,
Et pour ce ne s’i doit nuls mettre
Qui d’amer se voelt entremettre.
Dont ensi, pour mieuls confremer
Le fait dont vous voeil enfourmer,
J’ai dit qu’amours est sens et vie,
Qui s’i gouverne sans envie.
Ensi le croi, pour ce le pris
Tant à valoir, honneur et pris,
Que, d’exposer tout son afaire,
J’auroie grandement à faire.
Non-pour-quant dedens ce dittier
Mon fait tout plain et tout entier,
Qui sus l’estât d’amours se trette,
La vérité en ert retrette,
Et tout pour l’amour de ma dame,
Que Diex gart et de corps et d’ame !
Amours et elle m’ont apris
Bien voie de monter en pris ;
Et se je n’ai pas retenu
Tout le bien dont il m’ont tenu,
À moi le blasme et non à euls ;
Car grasces en doi rendre à ceuls
Dont proufis me vient et honnours,
C’est à ma dame et à Amours.
Moult convegnable en est l’usance ;
Or ai-je un petit d’escusance
De ce que lors trop jones ère
Et de trop ignorans manière.
Et moult me trouva foible et tendre.
Amours, quant si hault me fist tendre
Comme en amer ; mes l’amour moie,
De quoi lors par amours amoie,
Tant qu’en enfance, pour ce fait,
Ne me portoit gaires d’effait.
Espoir, s’il m’euist plus viel pris,
J’euisse été trop mieuls apris,
Et cogneuisse mieuls son nom
Que je ne face, et espoir non ;
Car on dit : Qui voelt la saucelle
Ployer aise, il le prend vregelle.
Aussi Amours me prist ou ploi
De mon droit jouvent, pour ce ploi,
Tout ensi qu’il me voelt ployer,
Car mieuls ne me voeil employer.
Mès quel éage, au dire voir,
Cuidiés vous que pevisse avoir
Dès lors qu’Amours, par ses pointures,
M’enseigna ses douces ointures ?
Jones estoie d’ans assés.
Jamès je ne fuisse lassés
À juer aux jus des enfans
Tels qu’ils prendent dessous douse ans.
....................
Quant un peu fui plus assagis,
Estre me convint plus sougis
Car on me fist latin aprendre ;
Et se je varioie au rendre
Mes liçons, j’estoie batus.
Siques, quant je fui embatus
En cognissance et en cremeur,
Si se changièrent moult mi meur.
Non-pour-quant ensus de mon mestre
Je ne pooie à repos estre,
Car aux enfans me combatoie ;
J’ère batus et je batoie.
Lors estoie si desréés
Que souvent mes draps deschirés
Je m’en retournoie en maison.
Là estoie mis a raison
Et batus souvent ; mès sans doubte
On y perdoit sa painne toute,
Car pour ce jà mains n’en féisse.
Mès que mes compagnons véisse
Passer par devant moi la voie,
Escusance tos je l’avoie
Pour aller ent esbatre o euls.
Trop en vis me trouvoie seuls ;
Et qui me vosist retenir
Se ne me pevist-on tenir ;
Car lors estoit tels mes voloirs
Que plaisance m’estoit pooirs.
Mès il m’est avenu souvent,
Ce vous ai-je bien en convent,