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BIOGRAPHIE
DE SIRE JEAN FROISSART,
ÉCRITE PAR LUI-MÊME
D’APRÈS LE TEXTE DE SES CHRONIQUES ET DE SES POÉSIES,
DISTRIBUÉ CHRONOLOGIQUEMENT.

..... Fait en avés mainte hystore,
Dont il sera encor mémore
De vous ens ou temps à venir,
Et férés les gens souvenir
De vos sens et de vos doctrines.

(Dict du florin, Poésies.)

Sa naissance en 1337.


En l’an de grâce 1390 j’avois d’âge cinquante-sept ans. (L. III, chap. lxx, p. 601.)


Ses poésies seules nous fournissent quelques détails sur ses premières années et sur les habitudes de son esprit. J’en extrais ce qui est purement narratif et personnel.



ESPINETTE AMOUREUSE.

En mon jouvent, tous tels estoie
Que trop volontiers m’esbatoie ;
Et tels que fui, encor le sui ;
Mès ce qui fu hier n’est pas hui.
Très que n’avoie que douse ans,
Estoie forment goulousans
De véoir danses et carolles,
D’oïr ménestrels et parolles
Qui s’apertiennent à déduit,
Et de ma nature introduit
Que d’amer par amours tous ceauls
Qui ament et chiens et oiseauls.
Et quant on me mist à l’escole
Où les ignorans on escole,
Il y avoit des pucellettes
Qui de mon temps èrent jonettes ;
Et je, qui estoie puceaus,
Je les servoie d’espinceaus,
Ou d’une pomme, ou d’une poire,
Ou d’un seul anelet de voire ;
Et me sambloit, à voir enquerre
Grant proëce à leur grasce acquerre ;
Et aussi es-ce vraiement ;
Je ne le di pas aultrement.
Et lors devisoie à par mi :
Quand revendra le temps por mi
Que par amours porai amer.
On ne m’en doit mies blasmer
S’à ce ert ma nature encline,
Car en pluisours lieus on decline
Que toute joie et toute honnours
Viennent et d’armes et d’amours.
Ensi passoie mon jouvent ;
Mès je vous ai bien en convent
Que pas ne le passai com nices ;
Mès d’amer par amours tous riches ;
Car tant fort m’en plaisoit la vie
Qu’aillours n’ert m’entente ravie,
Ne ma plaisance, ne mon corps.
Encor m’en fait bien li recors,
Et fera, tant com je vivrai ;
Car par ce penser mon vivre ai
Garni d’une doulce peuture ;
Et s’est tele ma nouriture
De grant temps ; fuisse jà pouris
S’en ce n’euisse esté nouris.
Mès le recort et la plaisance,
Le parler et la souvenance
Que plusieurs fois y ai éu
M’ont de trop grand bien pourvéu.
Nous n’avons qu’un petit à vivre,