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D’UNE PARTIE DU PREMIER LIVRE.

grant paine, qui estoit tousjours à Paris, en lui plaignant plus des Haynnuiers que de nulle gent, car ils lui avoient ars tout son pays. Et tant parla et fit que les soldoiers de Cambray et de Cambrésis eurent congiet d’entrer en Haynnau. Si s’assemblèrent secrètement ung samedy au soir, et vinrent à Haspre. Si le pillèrent, et robèrent toute, et enmenèrent les gens devant eulx ; et moult vilainement ardirent la ville et violèrent l’Église.

CHAPITRE CLXXXII.

Ces nouvelles furent tantost à Valenchiennes devers monseigneur le conte, environ l’eure de mie nuit. Et quant le conte oy ces nouvelles, il en fu moult courechiés. Si se party de le Salle sans arroy, et vint jusques ou marchiet ; et dist à eeulx qui le béfroy gardoient : « Ô vous malle gent qui là estes, qui véez le dommage de vos voisins, pourquoy ne sonnez-vous la clocque ; si s’esvilleront ceux de la ville. » Dont, à la requeste et commandement du conte, si fu là clocque sonnée. Lors s’esvillèrent toute manière de gens. Si s’armèrent et vinrent ou marchiet ; mais le conte ne voult mie attendre les derrains, ains se party et dist : « Qui m’aime, se me sieuwe. » Adont estoient en la ville messire le sénescal de Haynnau, messire Gerart de Bertain[1], messire Henry d’Anthoing, le sire de Roisin, le sire de Gomingnies, le sire de Pottielles, le sire de Mastaing, le sire de Waregny, le sire de Bossut et pluiseurs aultres qui montèrent à cheval. Mais quant le conte eut sa routte vinrent à Menin, on lui dist qu’il y aloit sans raison et que les François estoient retrais et retournés vers Cambray.

CHAPITRE CLXXXIII.

Adont s’en revint le conte à Fontenelles l’abbaye, moult courouciés ; et ala vers madamme sa mère ; et lui dist le desplaisir que les François lui avoient fait, et sans desfiances. Et la bonne damme qui vit son fil courouchiés, et qui le sentoit hastieu et de grant emprinse, le rapaisa ce qu’elle peut ; et lui dist qu’elle ne cuidoit point que ce fust le fait du roy, mais de l’évesque et de ceulx de Cambray. Si lui dist : « Beau fil, je vous prie que ainçois que vous esmouvez nulle guerre contre le roy de France vostre oncle, que vous aiez bon conseil ; car trop vous porroit couster. « Alors s’en party le conte moult mal appaisiés ; et disoit bien à ses chevaliers et à ceulx de Valenchiennes que ce mesfait seroit chièrement vendus. Ces nouvelles s’espandirent par le pays. Et les sceut tantost messire Jehan de Beaumont qui estoit à Beaumont. Si pensa fort au sien dommage ; et ne fu mie courouchiés quant il sceut l’avenue qui estoit advenue à son nepveu, pour tant qu’il ne pensoit point qu’il fust si souffrant, qu’il portast longuement tel dommage. Si monta tantost à cheval, et en vint à Valenchiennes, et se traist vers lui, ainsi que raison estoit.

CHAPITRE CLXXXIV.

Sitost que le conte de Haynnau vit monseigneur Jehan son oncle, si s’adrecha vers lui et lui dist : « Beaux oncles, vostre guerre des François est grandement embellie. » — « Sire, respondy le sire de Beaumont, Dieu en soit loés ! car de vostre dommage et annoy seroi-je courouchiés ; mais celui cy me vient à grande plaisance. Or avez-vous de l’amour du roy de France ; vous les avez tousjours portés, s’en estes mal paiés. Or regardez que nous chevauçons sur eulx, et de quel lez et briefment, car faire le nous convient. » — « Vous dittes voir, dist le conte, nous en aurons advis. » Lors fu conseillée des seigneurs qui là estoient, que ung parlement fut mis ensamble à Mons en Haynnau bien brief, et là fussent tous les trois estas du pays, chevaliers, abbés et bonnes villes. Adont furent faites lettres et les mandés bien en haste, pour estre à ce conseil.

CHAPITRE CLXXXV.

Entrues que ce mandement se fist, s’en ala bien en haste le conte devers le duc de Brabant de qui il avoit la fille ; et lui conta ce desplaisir que les François lui avoient fait. Et le duc luy respondy que luy et tous ses pays estoient tout prests pour lui aidier à contre-vengier. Encore chevaucha-il en Flandres et parla à Artevelle, et lui conta tout son fait. Lequel lui dist qu’il en estoit bien lies, qu’il avoit à faire d’eux. « Et d’ores-en-avant voi-ge bien que les Haynnuiers seront aliés avec les Flamens. » Et lors lui promist que touttes fois que besoing il en aroit, il

  1. Peut être le copiste était-il Gascon ; car souvent il substitue les b aux v. Ainsi Bertain pour Vertaing, Brebing pour Vervins, Bersy pour Vercy et plusieurs autres.