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D’UNE PARTIE DU PREMIER LIVRE.

trente six contes, vingt sept cents et six chevaliers, quatre vingt mille hommes d’armes, sans le commun, dont il y en eut bien soixante mille. Les rois furent tels : premiers, le roy de France, le roy de Behaigne, le roi de Navare et le roy d’Escoce ; les ducs furent tels : le duc de Normendie, le duc de Bretaigne, le duc de Bourbon, le duc de Loraine, et le duc d’Athaines ; les contes furent tels : le conte d’Alençon, le conte de Flandres, le conte de Blois, le conte de Haynnau, le conte de Bar, le conte de Pontieu, le conte de Boulongne, le conte de Saint-Pol, le conte Raoul d’Eu, le conte de Ghines ses fils, le conte de Forest, le conte Dalphin d’Auvergne, le conte de Danmartin, le conte de Harcourt, le conte d’Aumalle, le conte de Tancarville, le conte de Wademont et de Jenville le conte de Joingny, le conte de Rousy, le conte de Poitiers, le conte de Braine, le conte de Vendosme, le conte d’Estampes, le conte de Sanssoire, le conte de Beaumont, le conte de Monfort, le conte de Nerbonne, le conte de Pieregort, le conte de Villemur, le conte de Cominges, le conte d’Ermignac, le conte de Fois, le conte de Mirendon, le conte de Douglas d’Escoce et le conte de Moret et pluiseurs autres ; et des banières par parties je n’en volroie riens compter, car aussi je ne les sçay mie touttes. Et sachiez que c’estoit beauté moult grande de véir sur les camps les banières venteler au vent, chevaulx armés et couvert.

CHAPITRE CLXVII.

Environ, l’eure de tierce, vint le duc Oedes de Bourgongne, à plus de cinq cens hommes d’armes ; et se mist sur les camps d’un lez. S’avoit en ne routte dix neuf banières. D’aultre part estoit le conte de Haynnau en grant aroy, et faisoit sa bataille par lui et de sa gent propre, où il avoit dix huit banières. Ainsi estoient les princes dalez leurs gens en ordonnance, attendant l’eure que on fesist chevauchier avant.

CHAPITRE CLXVIII.

Moult fu celle journée belle et clère. Si resplendissoit le soleil sur ces armures, que c’estoit grant plaisance à véoir. Là parloit le roy de France à ses barons ; et y avoit si grans estrifs qu’ils n’estoient point d’acort ; car les aucuns disoient : que le roy prenoit périleuse adventure de combatre, pour ce qu’il ne savoit que chascun pensoit, ne se il y avoit point de traysons ; et les autres disoient : que trop grant blasme seroit que, se le roy qui savoit ses anemys devant luy à plains camps luy atendant, s’il ne les combatoit ; et que à tous jours lui seroit reprochié.

CHAPITRE CLXIX.

Ensy sur estrif, débat et mauvais accord et sur diverses oppinions, le jour passa jusques à petitte nonne. Ung lièvre s’en vint tres-copant les camps, et se lança parmy les François. Dont commencèrent ceulx du front devant, qui premier le virent, à crier et huer, et à faire grant effroy. Dont ceulx qui estoient darenier cuidèrent que ceulx de devant se combatissent, et ceulx de devant que ceulx de derrière si fesissent. Si commencèrent à tous lez mettre bachinès en teste et à palmier leurs glaves. Et là bien en haste fist-on pluiseurs nouveaulx chevaliers ; et espécialment le conte de Haynnau, qui desiroit premiers estre en la bataille et qui jà cuidoit que on se combatesist. Si y eut de tels chevaliers que on appela depuis les Chevaliers du Lièvre entre les seigneurs, par esbatement. Après ce vinrent les nouvelles au roy, que ung lièvre avoit ainsi estourmi son ost. Dont sur ce pluiseurs eurent ymaginacion, et disoient que ce n’estoit pas bon signes d’avoir ung lièvre pour encontre ; mais ung malvais signes ; et quoyque ce fust, de lendemain il ne conseilloient point de combatre. Et ainsi demenant tels parolles, passa l’eure de nonne, tant que le plus estoient tous hodés de là estre ; et virent bien qu’il ne se combateroient point. Dont commencèrent les pluiseurs à eulx retraire vers leurs logis.

CHAPITRE CLXX.

Quant le conte de Haynnau vit que nuls n’aloit avant et se passoit l’eure, si fu moult esmervilliés ; et appella monseigneur d’Engien et monseigneur Henry d’Antoing, et leur dist : « Alez devers monseigneur mon oncle, et lui demandez à quoy il pense et quel chose il veult que je face. » Et ceulx le firent voulentiers. Dont s’en alèrent ces deux seigneurs devers le roy, qui jà se retraioit ; et y avoit si espesse routte que jamais ne l’euissent peu dérompre. Si trouvèrent monseigneur d’Alençon à qui ils adrécèrent leur mes-