Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/473

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


467
D’UNE PARTIE DU PREMIER LIVRE.

mes, chevaliers et escuiers ; et se présenta au roy qui moult honnourablement le rechupt, selon l’infourmacion qu’il avoit contre luy. Et fu le conte ordonnés par les marissaux, de long au plus près des anemis.

CHAPITRE CLX.

Or sont ces deux rois aprochiés de l’un l’autre comme vous avez oy, tous deux en grant volonté de combatre. Moult désiroit le roy Englès la bataille, car messire Robert d’Artois, messire Jehan de Haynnau, le conte Derby, le duc de Brabant et tous lui conseilloient ; et disoient que ce seroit faulte et grant dommage que se tant de belles gens d’armes que là avoit se départoient sans riens faire. Aussi le roy de France n’avoit aultre intencion. Si demanda à monseigneur Raoul son conestable, conte d’Eu, et à ses marissaulx, quel nombre de gens il pooient bien avoir ; et ils respondirent qu’il en avoit bien environ six vingt mille, tous adrechiés pour combatre. Dont dist le roy que, s’il plaisoit à Dieu, il les emploieroit.

CHAPITRE CLXI.

Or vous dirons ung petit des Englès et quel conseil il eurent. Quant le roy fut logiés à la Cappelle en Tieraice, et il sceut pour vray que le roy de France estoit à deux petites lieuwes de ly, atout grant volenté de combatre, si mist ses gens et conseil ensamble ; et leur demanda comment pour son honneur il se maintenroit, car c’estoit son entente du combatre, puis qu’il estoit ensy près d’eulx. Adont regardèrent les seigneurs l’un l’autre ; et prièrent au duc de Brabant qu’il volsist dire son entente. Et le duc dist qu’on envoyast héraulx par devers les François, et que on mesist certain jour de bataille, en l’onneur de Dieu et de Saint George. Adont fu appellés ung hérault qui estoit au duc de Guerles, qui bien savoit françois et fu bien infourmés. Si chevauça tant qu’il vint en l’ost du roy de France. Si fu amenés courtoisement devers le roy et les seigneurs. Si fist la révérence au roy et dist : « Sire, c’est l’intention du roy d’Engleterre et de tous ses aidans, que, se vous volez avoir belle aventure d’armes, je vous en apporte bonne nouvelle ; car à vendredy, au plaisir de Dieu et de Saint George, vous les trouverez au royalme que vous dittes estre vostre, tous armés et apparilliés pour combatre sur les camps. » Lors respondy le roy de France : « Ces nouvelles ne devons point refuser ; car moult nous plaisent ; et à ce jour il seront combatus sans faulte. » Dont se party le hérault ; et prist congié du roy et des seigneurs, qui lui donèrent de moult rices dons. Si s’en revint aux Englès et fit sa relation.

CHAPITRE CLXII.

Ansy que sur cel estat fu le journée accordée à ce vendredy, et il estoit mercredy. Si s’abillèrent et ordonnèrent chascuns, pour estre à ce jour ou meilleur estast qu’ils porroient estre, chascun ensi que pour son corps. Le joedi au matin dont la bataille devoit estre lendemain, advint que deux chevaliers du conte de Haynnau, ce furent le seigneur de Faigneulles et le seigneur de Tupigny, montèrent sur leurs coursiers rades et appers, et se partirent de leur ost, en propos pour adviser l’ost des Englès. Si prinrent les camps, et chevaucèrent à le couverte, costiant l’ost des Englès. S’esquéy que le seigneur de Faigneulles estoit sur ung coursier mérancolieux et mal enbouquiés. Si s’effréa tant qu’il prist son mor aux dents ; et se demena tant qu’il fu maistre du seigneur. Si l’en porta, volsist ou non, droit en l’ost des Englès ; et quéy ens ès mains des Almans, qui tantost congnurent qu’il estoit François ; si l’enclorent de toutes pars et prirent ; et l’eut le seigneur de Hoteberch à son prisonnier ; et le seigneur de Tupigny retourna en l’ost de Haynnau et leur recorda l’aventure ; dont moult furent courechiés, et par espécial le conte.

CHAPITRE CLXIII.

Or fu le sire de Faigneulles mis à finances, parmi mille viés escus. Et quant son maistre ly Alman sceut qu’il estoit de Haynnau, il vint à monseigneur Jehan de Haynnau et l’en demanda ; lequel en eut grant merveille, et dist que bien le congnissoit. Lors les fist messire Jehan de Haynnau disner dalez lui, le chevalier et l’Alemant ; et après disner parlèrent de le ranchon ; et tant que messire Jehan de Haynnau dist au chevalier alemant : « Beau sire, je vous prie que, pour l’amour de moy, vous lui soyez ung pau doulx ; car vous savez par quelle adventure il est prins.