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D’UNE PARTIE DU PREMIER LIVRE.

n’y gaingnèrent c’un pau, mais y perdirent assez de bonne gent ; car on ne peut assalir et retraire sans perte.

CHAPITRE CLIII.

Par ung samedy bien matin vint le conte de Haynnau, bien acompaigniés de Haynnuiers, à le porte de Saint-Quentin, et y livra ung assault. Et là estoit Jehan de Candos, qui puis fu chevalier ; lequel y fist grans appertises, car il se jetta entre les barières à le porte, au sault d’une lance. Et conquirent les Haynnuiers les bailles. Là estoit le conte de Haynnau, le sénescal de Haynnau, le seigneur de Lingne, et plusieurs autres bons chevaliers qui y firent de grans fais d’armes. Et ceulx de dedens pareillement se deffendoient moult vaillamment ; et monstroient bien qu’ils estoient hommes du mestier d’armes. Et à celle heure faisoient assault d’aultre part à le porte, Robert le sire de Beaumont, le sire d’Engien et le sire de Franquemont, messire Ernoult de Blanquenhem et messire Gautier de Maugny qui y firent moult dur assault. Et moult y eut de mors et de navrés dedens et dehors. Entrues vint le conte Raoul d’Eu, à deux mille armures de fer, qui fort rafresquy ceulx de dedens. Et dura cel assault du matin jusques à la nuyt ; puis se retrayrent.

CHAPITRE CLIV.

Je ne vous porroie raconter tous les assaulx et escarmuces qui furent fais devant Cambray et à l’entour, car tout le pays fu ars et gastés. Là vint le josne conte Willame de Namur servir le conte de Haynnau, à deux cens lances ; mais bien disoit que jà sur le royalme de France ne mesferoit. Aussi n’estoit point l’intencion du conte de Haynnau, que nuls de par lui entrast sur le royalme. Encore s’envoia-il adont excuser devers le roy, par monseigneur Henry d’Antoing et par monseigneur de Faigneules. Lequel roy prist l’escusance à bon gré. Entrues que le roy Englès séoit devant Cambray à plus de quarante mille hommes bien armés, le roy de France assambloit à Péronne ses gens d’armes pour deffendre son pays ; car il savoit bien que les Englès voloient enploier leur passage et aler plus avant comme vous orez.

CHAPITRE CLV.

Or eut le roy Englès conseil de ses plus fiables qu’il perdoit là son temps, car Cambray estoit trop forte et bien deffendue. S’eut conseil de deslogier et de mener son ost plus avant. Si se deslogèrent ses gens, et chevaucèrent devers le mont Saint-Martin, pour entrer en France. Si s’aroutèrent tous carois et pourvéances ; et les conduisoit le conte de Norhantonne et le conte de Sulfort. Si passèrent Englès, Alemans et Brabançons l’Escaut, et entrèrent ou royalme.

CHAPITRE CLVI.

Quant le conte de Haynnau eut conduit le roy Englès jusques au département de l’Empire, dont dist le conte au roy : « Sire, tant que à celle fois je ne chevauceray plus avant avec vous ; car je sui priés et mandés de mon oncle le roy, se l’iray servir en son royalme, comme je vous ai servy en l’Empire. » Et le roy dist : « Beau sire, Dieux y ait part ! » Dont se party le conte de Haynnau et toute sa routte, et le conte de Namur, et s’en revint au Quesnoit. Là donna le conte congié au conte de Namur et à plenté de ses gens ; mais il leur pria au partir qu’ils se tenissent prest et pourvéu, car en brief temps il voloit aler devers le roy de France son oncle ; et ils lui promirent d’estre tous prests. Or fu passés le roy Englès en France oultre l’Escault. Si appella Henry de Flandres, qui adont estoit escuier, et le fist chevalier ; se lui donna deux cens livres d’estrelins de revenue, sa vie durant. Adont vint le roy logier en l’abbaie du mont Saint-Martin, et s’i tint deux jours, le duc de Brabant dalez luy.

CHAPITRE CLVII.

Quant ceulx de Cambray se sentirent délivré du siége, si furent moult joieux ; et ce fu raison. Dont se party le conte Raoul d’Eu et retourna devers le roy à Péronne ; et ly conta le partement du siége et le chemin que Englès prenoient pour entrer en Vermendois. Adont envoia le roi au conte de Blois son nepveu deux cens lances à Saint-Quentin, pour garder la ville. Si envoia messire Charlon, de Blois à Laon, et renvoia le sieur de Couchy en sa terre pour le garder.