Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/432

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
426
RÉDACTION PRIMITIVE

bien en chacune huit cens hommes d’armes et seize mille de piet. Quant ces batailles furent ordonnées, on chevauça hastivement pour aconsievir les Escos, car il véoient les fumières à environ cinq lieuwes près d’eulx ; mais raconsievir ne les pooient, pour la cause des haultes montaignes qui furent entr’deux. Enfin tant travillèrent par mons et par vaulx, pour venir droit aux Escos à leur advis ; mais encore ils trouvoient marès et crolières trop mervilleuses où on ne pooit aler qui ne se voloit perdre. Et quant toute jour eurent ainsi poursievy jusques au vespre qu’il estoient courechiet et lasset, si se logèrent d’encoste une montaigne. Adont se trairent ces seigneurs à conseil, pour avoir advis comment il se povoient maintenir pour le fort pays. Si fu dit et advisé d’aucuns seigneurs, que on ne les pooit aconsievir ne combattre, se n’estoit que on leur tolist le pas au rapasser la rivière le Thin. Dont fu accordé que on se levast à mie nuit, et que on se hastast ung petit d’aler vers le rivière pour leur tolir le pas, et qu’au son de la trompette, chascun fust prest. Et pensoient pour certain de lendemain combattre.

CHAPITRE XXXIV.

En telle manière qu’il fu dit, il fu fait. Si furent armé et monté à cheval. Mais ainchois que les batailles fussent ordonnées, commencha le jour à paroir. Si commenchièrent de chevaucier et d’eulx haster, en grant désir de venir à leur fait ; là trouvèrent bruières et montaignes sans pays plain. Si chevaucha ce josne roy et sa compaignie toute jour parmi ces désers, sans trouver villes ne chemin ; et tant que à grant paine vinrent au vespre sur la dite rivière de Thin, où les Escos avoient pass. Et leur convenoit rapasser ; ce disoient ceulx du pays. Et quant ils furent là venu, ils eurent advis qu’ils passeroient celle rivière, comme ils firent a grant paine. Et quant ils furent oultre, si se logèrent selon la rivière ; mais sachiés qu’ils eurent perdu moult de leurs gens et de leur harnois, et par espécial gens de piet ; dont ils furent moult courouchiés. Ainsy travillié, hommes et chevaux, les convint là jésir toute nuyt, tous armés, tenant leurs chevaulx par les frains, sans boire ne menger, se pau non, car leur carois ne pooit avant, pour les montaignes. Ainsi furent toute nuyt à grant mésaise. Et quant le jour fu venus, il espéroient aucun confort pour eulx et leurs chevaulx, ou de mengier ou de combattre, que moult ils convoitoient. Adont commencha à plouvoir pour tout le jour, qui encore plus les desconfist. Si les convint juner toute jour, comme il avoient fait la nuit. Et sachiés que leurs chevaulx mengoient les wasons de terre, atout les bruières et les racines que avoir on pooit. Au matin bien tempre, commanda le roy, que ceux qui mieulx savoient le pays chevauchassent pour trouver aucune aventure. Dont s’en alèrent aucuns qui trouvèrent hommes ouvrans ès bos, qui leur dirent qu’ils estoient à quatorze lieuwes englesses du Nuefchastel-sur-Thin et à onze lieuwes de Carduel-en-Galles, et n’y avoit plus près villes pour recouvrer vivres ; et ce rapportèrent au roy en l’ost.

CHAPITRE XXXV.

Ces nouvelles oyes, le conseil du roy envoyèrent chevaux et sommiers cele part, chascun selon son pooir. Et fist-on nonchier que ceulx qui amenroient pourvéances aroient sauf-conduit, et venderoient bien et chièrement et bien paié. En ce attendant, demourèrent encore celle nuit ; et lendemain au matin revinrent leur message avec pluiseurs marchans qui aportèrent vivres en l’ost pour gaignier. Dont une grant partie de l’ost fu reconfortée et apaisié pour cele espasse. Ainsy de jour en jour attendoient, entre les montaignes, les Escos à qui ils désiroient moult de combattre, et qui ne savoient riens des Englès et de la grant povreté et famine où ils estoient ; car ce qui ne devoit valoir que cinq estrelins estoit vendu vingt-quatre ; dont pluiseurs hustins s’émurent des uns compaignons aux autres. Et avec tout ce meschief ne fina de plouvoir chacun jour ; par quoy sielles et harnois estoit moult wastés et empiriés. Si leur venoit à grant mésaise qu’il ne savoient de quoy reserer leur chevaulx, ne que couvrir contre le pleuve et le vent ; et se n’avoient feuque de verde laigne, et bien peu.

CHAPITRE XXXVI.

Et quant le roy considéra le meschief de luy et de sa gent, il fist publier parmy l’ost que : qui aporteroit certaines nouvelles des Escos et