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RÉDACTION PRIMITIVE
D’UNE PARTIE DU PREMIER LIVRE
DES CHRONIQUES DE SIRE JEAN FROISSART,
EXTRAITE D’UN MANUSCRIT DE VALENCIENNES.


CHAPITRE PREMIER.

Adfin que les grans fais d’armes qui, par les guerres de France et d’Angleterre, sont avenus, soient notablement mis en mémore perpétuelle, par quoy les bons y puissent prendre example, je me veul ensonnier de les mettre en prose. Voirs est que messire Jean li Biaux jadis canonnes de Saint-Lambert de Liége, en grossa en son temps aucune chose. Or ay-je ceste istoire augmentée, par juste enqueste que j’en ay fait par le monde. Si en ay demandé aux chevaliers et escuiers qui les ont aidiés à achever, dont la vérité est sceue, et aussi à aucuns rois d’armes, aux marissaux et aux hiraux, tant en France comme en Engleterre où j’ay travillié après eulx pour en savoir la vérité. Car par droit tels gens sont justes inqueseteurs et voirs disant de tels besongnes, et pour leur honneur je croy qu’il n’en voldroient ne oseroient mentir. Et sur ce, chil dessus dit a fait ce livre dicter et ordonner, parmy l’ayde de Dieu, sans coullourer l’un plus que l’autre, mais affin que le bien fait, du quel costé que ce soit, soit plainement amenteus et congneus, comme vous trouverez en l’istoire. Et pour ce que en temps advenir on sace de vérité qui ce livre mist sus, on m’appelle Jehan Froissart, prestres, nez de Valenchiennes, qui moult de paines et de travaulx en ay eus en ce faisant. Et en ce livre vous trouverez autant de fais d’armes, de mervilleuses aventures, de durs rencontres, de grandes batailles et de toutes autres choses qui se appendent des membres d’armes et de proeches que de nulle istoire dont on puist lire. Et ce doivent désirer à oïr toutes manières de gentils hommes qui se désirent à avanchier ; car par le recort des bons et le renom des preux se enflamment et atissent les corages en moult de proesches. Car, que on le sace ! tant y sont advenu de grans fais d’armes, puis l’an mil trois cent vingt sis que ly rois d’Engleterre, messire Edouvart, fu couronnez dès le vivant de son père à Weismoustier, que lui et tous ceulx qui avec lui ont esté en ces batailles eureuses et fortuneuses en sont mieulx à recommander : si comme li propres rois, ly princes de Galles son fils, les deux ducs de Lencastre, messire Henry et messire Jehan qui eut sa fille, ly contes de Warvich, messire Gautiers de Maugny, messire Renaulx de Gobehen, messire Jehan Candose, messire Pierre et messire Jaque D’Audellé, messire Robert Canolle, messire Hue de Cavrelée, et plusieurs autres de qui je ne puis mie de tout parler. Aussi ne fu onques ly royalmes de France si despourveus que ly Englès n’y trouvassent moult de bonne chevallerie. Car à ce temps y fu : ly rois Phelippe, vaillans hons durement, ly rois Jehan ses fils, le duc de Bourgoingne, le duc de Bourbon, le comte d’Alençon, messire Charles de Blois, messire Loys d’Espaigne, messire Bertran de Claiequin, messire Ernoult d’Audenehem, et plenté d’autres barons et chevaliers dont on ne peut mie de tout parler tant qu’à présent. Et doit-on bien tenir pour vaillans et plus que preux tous ceux qui se sont trouvez en ces grandes batailles et les grans fais qu’ils ont emprins et achevez ; et se aucuns y sont demourez mors, ils en doivent bien estre recommandez entre les bons, car le mors de bons en parleront souvent, si comme dist Sainte Escripture : les mors ressussitez. Or voeil ce prologe laissier, et revenir à ma principale matère, et remontrer au vray par quelle occoison se murent premièrement les guerres entre le roy de France et le roy d’Engleterre, dont tant de mal sont depuis avenus par la terre et par la mer,