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LIVRE IV.

messire Jean son frère, messire Roger d’Espaigne son cousin, le sire de Corasse, le sire de Valencin, le sire de Quer, le sire de Barege, messire Espaing de Lyon, le sire de Compane, le sire de Lane, le sire de Besach, le sire de Perle, messire Pierre de Cabestain, messire Nouvaut de Novalles, messire Richard de la Motte, messire Arnault de Sainte-Basile et plusieurs autres, messire Pierre de Béarn et messire Ernoult ses deux frères bâtards, et ses deux fils bâtards que il aimoit très grandement, messire Yvain de Foix et messire Gratien de Foix. Et avoit intention le comte de Foix de ahériter ses deux fils de la greigneur partie de la terre de Béarn, de laquelle terre il pouvoit bien faire sa volonté, car il la tenoit lige et franche, sans relever de nul homme fors de Dieu. Et descendit le dit comte aux Prédicateurs, et fut là logé son corps ; et son tinel et ses gens se logèrent au plus près de lui qu’ils purent.

Vous devez savoir que les bourgeois de Toulouse lui firent grand’fête ; et moult l’aimoient, car toujours il leur avoit été bon voisin, courtois et traitable ; ni oncques ne souffrit que nul de sa terre ne leur fît guerre ni violence, et pourtant l’aimoient-ils mieux : et lui firent les bourgeois de Toulouse à sa bien venue grands présents de bons vins et d’autres choses, tant que moult s’en contenta.

Il entra en la cité de Toulouse ainsi que à basses vêpres. Si se tint tout le jour et toute la nuit en son hôtel. À lendemain, à dix heures, il monta à cheval ; et montèrent de ses gens ceux qui ordonnés étoient d’aller avecques lui devers le roi ; et furent plus de deux cents chevaux tous hommes d’honneur ; et s’en vint en cel état tout au long parmi les rues jusques au châtel de Toulouse où le roi étoit logé ; et descendit en la place, dedans la première porte du châtel. Varlets prirent et tinrent les chevaux. Le comte et ses gens montèrent les degrés de la salle. Le roi de France étoit issu de ses chambres et venu en la salle, et là attendoit le comte que moult désiroit à voir, pour les grands Vaillances de lui et pour sa bonne renommée.

Le comte de Foix qui étoit beau prince, de belle forme et de belle taille, à nud chef, uns cheveux tous épars, car oncques ne portoit chaperon, entra en la salle ; et lors qu’il vit les seigneurs de France, son frère et son oncle, pour honorer le roi et non autrui, il s’agenouilla tout bas d’un genouil et puis se leva et passa avant, et secondement il s’agenouilla encore et puis se leva et passa avant, et à la tierce fois il s’agenouilla moult près du roi. Le roi le prit par la main et l’embrassa, et le leva sus et lui dit : « Comte de Foix, beau cousin, vous nous êtes le bien venu. Votre vue et venue nous réjouit grandement. » — « Monseigneur, répondit le comte de Foix, grands mercis, quand tant vous en plaît à dire. » Là eurent parlement ensemble le roi et le comte, lesquelles paroles je ne pus pas toutes ouïr ni savoir ; et puis fut l’heure du dîner. On donna l’eau, on lava et puis on s’assit. À cette table fut le premier chef l’archevêque de Toulouse, puis le roi, et puis son oncle le duc de Bourbon, et puis le comte de Foix, et puis messire Jean de Bourbon, comte de la Marche et de Vendôme ; à cette table n’en y eut plus. À la seconde table fit-on seoir messire Charles de la Breth, le comte de Harecourt, messire Philippe de Bar et quatre des chevaliers du comte de Foix. À l’autre table se assirent le maréchal de Sancerre, messire Roger d’Espaigne et huit des chevaliers du comte de Foix. Si fut ce dîner grand, bel et bien étoffé de toutes choses. Et quand on eut dîné on leva les tables ; et après grâces rendues, on prit autres ébattemens ; et furent le roi et les seigneurs en estant sur leurs pieds, en chambre de parement, près de deux heures, en oyant ménestrels du bas métier, car le comte de Foix s’y délittoit grandement. Après tout ce, on apporta vin et épices ; et servit du drageoir, devant le roi de France tant seulement, le comte de Harecourt ; et messire Girard de la Pierre le duc de Bourbon, et messire Nouvaut de Novailes le comte de Foix.

Après tous ces états, sur le point de quatre heures après nonne, le comte de Foix prit congé au roi. Le roi lui donna, et aussi firent le duc de Bourbon et les autres seigneurs. Il issit hors de la salle et vint en la cour ; et trouva ses chevaux tout prêts et ses gens appareillés qui l’attendoient. Si monta ledit comte, et montèrent tous ceux qui accompagner le devoient ou vouloient ; et s’en retourna arrière en son hôtel ; et se contenta grandement de la bonne chère et recueillette que le roi de France lui avoit faite, et, lui retourné en son hôtel, il s’en loua moult à ses chevaliers.