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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

point ne le trouva à son conseil ; et se trait la dite dame à son douaire de la terre de Chimay et de Beaumont ; et les héritages allèrent où ils devoient aller. Le duc d’Orléans eut la comté de Blois ; car il en avoit payé, vivant le comte Guy de Blois, deux cent mille couronnes de France ; et les terres de Hainaut, de Hollande et de Zélande allèrent au duc Aubert de Bavière comte de Hainaut ; et la terre d’Avesnes, de Landrecies et de Louvion en Thierasche échurent à Jean de Blois que on dit de Bretagne. Et si le dessus dit comte Guy n’eût fait le vendage que il fit, il étoit son droit hoir de la comté de Blois. Considérez le grand dommage que un seigneur peut faire à son hoir par croire mauvais conseil.

J’en ai fait pour tant narration que le comte Guy de Blois mit grande entente à son temps, à ce que je, sire Jean Froissart, voulsisse dicter et ordonner celle histoire ; et moult lui coûta de ses deniers ; car on ne peut faire si grand fait que ce ne soit à peine et à grand coûtage. Dieu en ait l’âme de lui ! Ce fut mon seigneur et mon maître, et un seigneur honorable et de grande recommandation ; et point ne lui besognoit à faire les povres traités et marchés qu’il fit et à vendre son héritage ; mais il créoit et crut légèrement ceux qui nul bien ni honneur ni profit ne lui vouloient. Le sieur de Coucy, son cousin, qui mourut en Burse en Turquie, fut moult coupable de ce fait. Dieu lui fasse mercy ! Or revenons aux besognes d’Angleterre.

CHAPITRE LXI.

De la mort du duc de Glocestre et du comte d’Arondel, et comment les oncles du roi d’Angleterre, c’est à savoir le duc de Lancastre et le duc d’Yorch et les Londriens s’en contentèrent.


Vous savez, si comme il est ci-dessus contenu en notre histoire où il parle et traite des haines couvertes, lesquelles étoient engendrées de longtemps et par plusieurs cas entre le roi Richard d’Angleterre et son oncle le duc Thomas de Glocestre, lesquelles haines le roi ne voult plus porter ni celer mais ouvrer de fait ; et mieux aimoit, comme il disoit et que conseillé étoit, qu’il détruisit autrui qu’il fût détruit. Et avez ouï comment le dit roi fut au chastel de Plaissy à trente milles de Londres ; et par belles paroles et fausses, comme cil qui vouloit être au-dessus de son oncle, l’amena et mit hors de son chastel de Plaissy et le mit assez près de Londres, et sur un vert chemin qui tourne droit sur la rivière de la Tamise, et étoit entre dix et onze heures. Et avez ouï comment le comte Maréchal, qui là étoit en embûche, l’arrêta de par le roi et le tourna devers la rivière de la Tamise ; et avez ouï comment le dit duc cria après le roi pour être délivré de ce péril, car tous ses esprits sentirent tantôt, en cet arrêt faisant, que les choses se portoient mal à l’encontre de lui. Mais le roi, par laquelle ordonnance et commendement tout ce se faisoit, fit la sourde oreille et chevaucha toujours devant lui, et vint celle nuit au chastel à Londres. Le duc de Glocestre son oncle fut autrement logé, car voulsist ou non, de fait et de force, on le fit entrer dedans une barge. Et de celle barge en une nef qui gissoit à l’ancre en mi la rivière de la Tamise ; et là fut mis ; et y entrèrent le comte Maréchal et toutes ses gens ; et se boutèrent aval la rivière ; et firent tant, par l’aide du vent, que le lendemain, sur le tard, ils vinrent à Calais, car le comte Maréchal étoit capitaine de Calais, sans ce que on en sçût rien fors les officiers du roi en la ville de Calais. Vous devez savoir que quand la connoissance de la prise du duc de Glocestre fut venue à Plaissy devers la duchesse de Glocestre et ses enfans, ils furent grandement troublés et ébahis ; et sentirent tantôt que les choses alloient mal, et étoit le duc leur sire en grand péril de sa vie ; et en demandèrent conseil à messire Jean Lacquingay quelle chose en étoit bonne à faire. Le chevalier répondit et dit : « Le meilleur est d’envoyer devers messeigneurs de Lancastre et d’Yorch ses frères ; car par eux et par ce moyen se pourra briser le mal-talent que le roi a sur monseigneur de Glocestre, et non par autrui ; car il ne les oseroit courroucer. La duchesse de Glocestre fit tout ce que son chevalier lui conseilla ; et envoya tantôt grands messages devers les deux ducs qui ne se tenoient pas ensemble, mais bien loin l’un de l’autre. Si furent tous courroucés de la prise de leur frère ; et en rescripsirent et mandèrent à la duchesse de Glocestre que point ne fût déconfortée de son mari leur frère, car le roi leur neveu ne l’oseroit traiter fors par jugement et par raison, ni point ne lui seroit souffert. La duchesse de Glocestre et ses