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LIVRE IV.

dois amèrent et cremurent moult plus que nul roi d’Angleterre qui eût été en devant ni ne fut oncques puis. Et pour ce notre sire le roi Richard, quand au temps il fut en Irlande, en toutes ses armoiries il laissa à porter les armes d’Angleterre, c’est à entendre les liépars et les fleurs de lis dont il s’écartelle, et prit celles du roi Édouard qui est saint[1], qui sont à une croix potencée d’or et de gueules, à quatre blancs colombs au champ de l’écu ou de la bannière, ainsi que vous le voulez prendre. Dont dit a été de ceux de notre côté que les Irlandois lui en ont sçu grand gré ; et plus volontiers ils se sont inclinés à lui ; car vérité est que ces quatre rois qui présentement sont venus à obéissance à lui, leurs prédécesseurs obéirent de foi et hommage à Saint Édouard ; et ils tiennent le roi Richard notre sire à prud’homme et de bonne conscience ; si lui ont fait foi et hommage, en la forme et manière que faire doivent et que jadis firent leurs prédécesseurs au roi Saint Édouard.

« Ainsi vous ai-je conté la manière comment le roi notre sire a en partie celle année présente, accompli et fourni son voyage en Irlande. Si le mettez en mémoire et retenance, afin que quand vous serez retourné en votre nation que vous le puissiez écrire et chroniser avecques vos autres histoires qui descendent de celle matière. » Et je répondis : « Henry, vous parlez loyaument, et ainsi sera-t-il fait. »

Adonc prit-il congé de moi, et moi de lui, et trouvai tantôt le roi Marke héraut. Si lui demandai : « Marke, dites-moi de quoi Henry Cristède s’arme, car je l’ai trouvé moult courtois et gracieux, et doucement il m’a recordé la manière du voyage que le roi d’Angleterre a fait en Irlande et l’état de ces quatre rois d’Irlande qu’il eut, si comme il dit, en son gouvernement plus de quinze jours. » Et Marke répondit : « Il s’arme d’argent à un chevron de gueules, à trois bèsans de gueules, deux dessus le chevron et un dessous. » Et toutes ces choses je mis en mémoire et en escript, car pas ne les voulois oublier.

Tant fus-je en l’hôtel du roi d’Angleterre comme être m’y plut, et non pas toujours en une place, mais en plusieurs, car le roi muoit souvent hôtel, et alloit de l’un à l’autre, à Eltem, à Ledes ou à Kinkestone[2], à Cenes[3], Cartesée[4], ou a Windesore, et tout en la marche de Londres. Et fus informé, et de vérité, que le roi et son conseil escripsirent au duc de Lancastre ; et exploitèrent tant ceux d’Aquitaine, desquels je vous ai parlé ci-dessus, qui ne vouloient avoir autre seigneur que le roi d’Angleterre ; que le duc de Lancastre fut escript et mandé, et fut ainsi conclu par le général conseil d’Angleterre, ni oncques le duc de Glocestre qui grand’peine y rendoit n’en put être ouï, que le don que le roi d’Angleterre lui avoit donné lui demeurât, car volontiers il l’eut vu en sus de lui. Mais le royaume d’Angleterre, pour les doutes des cautelles à venir, entendit trop bien les paroles que ceux de Bordeaux et de Bayonne avoient proposées. Et imaginèrent que voirement, si l’héritage d’Aquitaine s’esloignoit de la couronne d’Angleterre, ce leur seroit un grand préjudice au temps à venir, lequel ils ne vouloient pas obtenir ni mettre sus ; car encore toujours Bordeaux et Bayonne et les frontières de Gascogne avoient grandement gardé l’honneur d’Angleterre. Et tout ce fut bien ramentu des sages au conseil du roi, le duc de Glocestre absent, car devant lui on n’en osoit parler. Et demeura la chose sur cel état.

Or vous parlerai des ambassadeurs du roi d’Angleterre, du comte de Rostelant et du comte Maréchal, et des autres qui furent envoyés en France, en instance de traiter du mariage du roi Richard leur seigneur à la jeune fille du roi Charles de France, laquelle fille n’avoit pour lors que huit ans ; et vous conterai comment ils exploitèrent.

CHAPITRE XLIII.

De l’ambassade que le roi d’Angleterre envoya en France devers le roi de France, pour traiter du mariage de dame Isabel, ains-née fille de France, et de l’amiable réponse qui leur fut faite.


Tant chevauchèrent les seigneurs d’Angleterre dessus nommés, depuis qu’ils furent issus

    mariage avec Éléonore d’Aquitaine, femme divorcée de Louis-le-Jeune ; l’Irlande, par la conquête des aventuriers normands appelés par Dermot Mac Morrough, un des chefs du pays, en 1169.

  1. Richard avait une dévotion particulière pour saint Édouard et saint Jean-Baptiste. Son testament est fait au nom de la Trinité, de la Vierge, de saint Jean-Baptiste et de saint Édouard-le-Confesseur. (Voyez Rymer.)
  2. Kingston.
  3. Sheen ou Richemond.
  4. Chertsey.