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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

liers vinrent qui parlèrent à lui, et je laissai mon propos ; et chevauchâmes jusques à Ledes. Et là vint le roi et toute sa route, et là trouvai monseigneur Aimond, duc d’Yorch. Si m’acointai de lui, et lui baillai les lettres du comte de Hainaut son cousin, et du duc d’Ostrevant. Le duc me reconnut assez, et me fit très bonne chère, et me dit : « Messire Jean, tenez-vous toujours de-lez nous et nos gens, nous vous ferons toute amour et courtoisie. Nous y sommes tenus pour la cause du temps passé et de notre dame de mère à qui vous fûtes. Nous en avons bien la souvenance. » Je le remerciai de ces paroles ; ce fut raison. Si fus avancé, tant de par lui que par messire Thomas de Percy et messire Guillaume de l’Île, et fus mis en la chambre du roi, et représenté à lui de par son oncle le duc d’Yorch. Lequel roi me reçut joyeusement et doucement ; et prit toutes les lettres que je lui baillai, et les ouvrit et legit à grand loisir ; et me dit, quand il les eut lues, que je fusse le bien venu, et si j’avois été de l’hôtel du roi son ayeul et de madame son ayeule, encore étois-je de l’hôtel du roi d’Angleterre.

Pour ce jour je ne lui montrai pas le livre que apporté lui avois, car messire Thomas de Percy me dit que point n’étoit heure, car il étoit trop occupé de grandes besognes ; car pour ces jours il étoit en conseil de deux grosses matières. La première étoit qu’il vouloit envoyer suffisans messages, tels que le comte de Rostelant, son cousin germain, le comte Maréchal, l’archevêque de Duvelin, l’évêque de Li[1], messire Louis de Cliffort, messire Henry de Beaumont, messire Hue le Despensier et plusieurs autres, en grand arroi et bonne ordonnance outre mer, devers le roi Charles de France ; et la cause étoit telle, que pour traiter du mariage de lui et l’ains-née fille du dit roi qui s’appeloit Isabel, laquelle avoit pours lors d’âge environ huit ans[2] ; et l’autre cause étoit que le sire de la Barde, le sire de la Téride, le sire de Pincornet, le sire de Chastelneuf, le sire de Lesque, le sire de Copane et les consaux de Bordeaux, de la cité de Bayonne et de Dax étoient venus en Angleterre devers le roi ; et le poursuivoient, et avoient poursuivi moult aigrement depuis son retour d’Irlande, à avoir réponse des requêtes, paroles et procès que mis avoient avant, sur le don que le roi d’Angleterre avoit donné à son oncle, le duc de Lancastre, des terres et seigneuries, sénéchaussées et baronies d’Aquitaine, ce que au dit roi et au royaume d’Angleterre en appartenoit, et en sa puissance et commandement s’étendoient ; car proposé avoient les barons dessus nommés et tous les nobles et prélats des sénéchaussées d’Aquitaine, et les consaux des cités et bonnes villes, que le don ne se pouvoit passer et étoit inutile, car toutes ces terres se tenoient du droit ressort et domaine de la couronne d’Angleterre ; et point ne s’en vouloient disjoindre ni départir ; et plusieurs actions raisonnables y avoient proposé et proposoient, lesquelles je déterminerai et éclaircirai en poursuivant la matière, quand temps et lieu sera ; mais pour avoir conseil de ces deux choses, qui assez grandes étoient, le roi d’Angleterre avoit mandé tous ses plus espéciaux prélats et barons d’Angleterre à être le jour de la Magdelaine en un sien manoir et lieu royal que on dit Eltem, à sept lieues anglesches de Londres et aussi de Dardeforde. Et le quatrième jour après que je fus là venu, le roi et tout son conseil, et le duc Aimond, son oncle, en sa compagnie, se départirent du chastel de Ledes, et chevauchèrent devers la cité de Rochestre pour venir à Eltem. Je me mis en leur compagnie.

CHAPITRE XLI.

Du refus que ceux d’Aquitaine firent au duc de Lancastre et comment ils envoyèrent en Angleterre pour remontrer au roi et à son conseil la volonté de tout le pays.


En chevauchant ce chemin, je demandai à messire Guillaume de l’Île et à messire Jean de Grailly, capitaine de Bouteville, la cause pourquoi le roi venoit devers Londres et assembloit son parlement, et avoit assigné à être au jour dessus nommé à Eltem : ils le me dirent ; et par espécial messire Jean de Grailly me recorda pleinement pourquoi ces seigneurs de Gascogne étoient là venus, et les consaux des cités et bonnes villes. Si en fus informé par le dit chevalier qui bien en savoit la vérité, car il avoit souvent

    voit, plus d’intérêt aux faits historiques qu’aux contes dévots.

  1. Ély.
  2. On trouve dans les Fœdera de Rymer les instructions données à l’archevêque de Dublin, à l’évêque de Saint-David, au comte de Rutland, au comte Maréchal au sire de Beaumont et à William Scrope, chambellan du roi d Angleterre, pour se rendre en France au sujet de ce mariage. Elles sont datées de Leeds, 8 juillet.