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LIVRE IV.

selin, ainsi qu’ils firent. Ils furent recueillis des gens messire Olivier moult bellement, pour l’amour du roi de France. Ils demandèrent de messire Olivier où ils en orroient nouvelles, car ils avoient à parler à lui de par le roi de France et son frère le duc d’Orléans tant seulement. Nul ne leur en sçut dire vraies nouvelles, ou ne voulurent ; et répondirent ainsi aux dits chevaliers, en eux excusant et messire Olivier aussi : « Certainement, seigneurs, il n’est nul qui le sache où trouver. Huy est en un lieu et demain en un autre. Mais vous pouvez bien chevaucher par toute la duché de Bretagne, puisque vous êtes au roi ; et toutes les forteresses et maisons de messire Olivier vous seront ouvertes et appareillées, c’est raison. » Quand les dessus dits virent qu’ils n’en auroient autre chose, si se départirent du Chastel-Josselin et chevauchèrent outre, et visitèrent toutes les forteresses, grandes et petites, de messire Olivier de Cliçon ; et autres nouvelles n’en purent avoir ; et vinrent à Vannes ; et là trouvèrent le duc de Bretagne et la duchesse qui bellement les recueillirent ; mais ils ne furent avecques eux tant seulement que demi-jour, et point ne se découvrirent au duc de la matière secrète pourquoi ils étoient là venus. Aussi le duc ne les en examina point trop ; et adonc ne virent point messire Pierre de Craon, et prirent congé au duc et à la duchesse ; puis se mirent au retour ; et exploitèrent tant qu’ils vinrent à Paris, où ils trouvèrent le roi et les seigneurs qui les attendoient. Si contèrent premièrement au roi et au duc d’Orléans comment ils avoient visité tous les lieux, villes et châteaux en Bretagne de messire Olivier de Cliçon et point ne l’avoient trouvé. De ces nouvelles furent les ducs de Berry et de Bourgogne tous réjouis, et ne voulsissent point que la besogne se portât autrement.

Assez tôt après se procéda le mariage de messire Philippe d’Artois, comte d’Eu, à Marie de Berry ; et fut le dessus nommé connétable de France, pour user de l’office et en lever les profits aux usances et ordonnances anciennes, quoique messire Olivier de Cliçon n’y eût point renoncé, ni renvoyé le martel de la connétablie ; mais disoit et affirmoit que connétable demeuroit, car il n’avoit fait chose contre le roi de France ni le royaume pourquoi on lui dût ôter. Si demeura la chose en cel état.

Bien sçut les nouvelles messire Olivier de Cliçon comment le comte d’Eu étoit pourvu de l’office de la connétablie de France, et de ce jour en avant il en lèveroit tous les profits par le consentement du roi de France, et avoit par mariage épousé la fille au duc de Berry, madame Marie. De tout ce il ne fit nul compte, car il se sentoit loyal et prud’homme, et non forfait devers le roi et la couronne de France ; et tout ce qui fait en étoit, avoit été fait et proposé par envie et mauvaiseté ; et lui montroit le duc de Bourgogne telle haine que il ne le pouvoit celer. Si entendit messire Olivier de Cliçon à faire sa guerre et à fournir sagement contre son adversaire le duc de Bretagne, laquelle guerre fut dure et crueuse. Et ne s’épargnoient point leurs gens d’eux occire, quand d’aventure ils s’entre-controient sur les champs ; et plus souvent chevauchoient assez messire Olivier de Cliçon et ses gens, en allant de châtel en autre et faisant embûches, que le duc de Bretagne et ses gens ne fissent. Et se trouvoit messire Olivier plus fort assez pour résister à l’encontre de son adversaire que le duc ne faisoit, car il ne trouvoit baron ni chevalier en Bretagne, qui de cette guerre se voulsissent entremettre, ains s’en dissimuloient ; et quand le duc les mandoit, ils venoient parler à lui pour savoir son entente. Là les requéroit le duc de confort et d’aide pour corriger son homme, messire Olivier de Cliçon, qui trop grandement s’étoit forfait envers lui. Les barons de Bretagne, tels que le vicomte de Rohan, le sire de Dinant, et messire Hervieu de Léon et plusieurs autres s’excusoient, et disoient que de ce ils ne savoient rien et que point de guerre ils ne feroient à messire Olivier de Cliçon pour celle cause ; mais volontiers se travailleroient de y mettre cause et moyen de venir à paix, si ils savoient ou pouvoient. Quand le duc vit qu’il n’en auroit autre chose et que plus perdoit de ses hommes par celle guerre que messire Olivier Cliçon ne faisoit, si eut conseil d’envoyer les dessus nommés barons devers messire Olivier de Cliçon et traiter devers lui que ils ramenassent, sur son sauf-conduit, à Vannes parlementer à lui, et il le trouveroit si traitable et débonnaire qu’il entendroit à toute raison ; et si mespris avoit envers lui, il lui amenderoit à l’ordonnance de ceux lesquels il prioit d’aller en ce voyage.