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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

des chevaliers et écuyers du royaume de France. Si regardèrent ainsi les ducs de Berry et de Bourgogne par accord, que si le roi vouloit donner et accorder à leur cousin d’Artois l’office de la connétablie de France, lequel ils tenoient pour vacant à présent, car messire Olivier de Cliçon l’avoit perdu et forfait, le mariage se feroit de Marie de Berry à lui ; car au cas qu’il seroit connétable de France, il auroit assez chevance pour tenir son état. Et eurent conseil et avis les deux ducs qu’ils en parleroient au roi ; et lui en parlèrent sur la forme que je vous dirai, en lui disant : « Monseigneur, votre conseil s’adonne généralement et par science, que notre cousin et le vôtre, le comte d’Eu, messire Philippe d’Artois, soit à présent pourvu de l’office de la connétablie de France qui vaque ; car Cliçon, par le jugement et arrêt des clercs de droit et de votre chambre de parlement, l’a forfait ; et l’office ne peut longuement vaquer que ce ne soit grandement en préjudice de votre royaume : et vous êtes tenu, et aussi sommes-nous, de aider et avancer notre cousin d’Artois, car il nous est moult prochain de sang et de lignage ; et puisque la chose est en tel parti que ledit office vaque, nous ne le pouvons pour présent mieux mettre ni asseoir que en messire Philippe d’Artois, car il le saura bien faire et exercer ; et si est aimé de toutes gens, chevaliers et écuyers ; et est homme sans envie ni convoitise. » Ces paroles furent assez plaisantes au roi ; et leur répondit joyeusement qu’il y penseroit, et si à donner étoit, il auroit plus cher qu’il l’eût que nul autre. Si demeura la chose un petit en cel état, et le roi en fut poursuivi de ses oncles, car ils vouloient messire Philippe d’Artois avancer, et dégrader de tous points messire Olivier de Cliçon, car ils l’avoient accueilli en grand’haine ; le duc de Berry, pour ce qu’il avoit aidé à détruire Betisac, et le duc de Bourgogne, pour ce qu’il faisoit guerre au duc de Bretagne ; et encore ne le héoit point tant le duc que la duchesse de Bourgogne faisoit. Finablement le roi s’y assentit, par le moyen de ce que le duc de Berry lui accordât sa fille Marie, qui veuve étoit de Louis de Blois, à avoir en mariage. Mais avant que on procédât plus avant, tant pour saouler le roi et contenter que le duc d’Orléans, qui supportoient grandement en l’office de la connétablie messire Olivier de Cliçon, de rechef messire Guillaume des Bordes et messire Guillaume Martel, tous deux chevaliers de la chambre du roi, et messire Philippe de Savoisis, chevalier au duc de Berry, furent chargés et ordonnés d’aller en Bretagne et pour parler à messire Olivier de Cliçon, et envoyés de par le roi, non par autrui. Les dessus dits chevaliers ordonnèrent leurs besognes et se mirent à voie et à chemin, et vinrent à Angers, et là trouvèrent la roine de Jérusalem et Jean de Bretagne, qui les reçurent grandement et honorablement pour l’honneur du jour ; et furent là deux jours ; et demandèrent si ils savoient nulles certaines nouvelles de messire Olivier de Cliçon, et que ils avoient commission courtoise de par le roi, et non par autrui, d’aller parler à lui. Ils répondirent que nulle certaineté de son état ils ne savoient, ni savoir ne pouvoient ; fors tant que bien pensoient qu’il étoit en Bretagne en une de ses forteresses, mais point ne se tenoit establement en une, mais se transmuoit souvent de l’une en l’autre. Or se départirent d’Angers les dessus dits chevaliers, et prirent congé à la roine et à son fils Charles, le prince de Tarente, et à Jean de Bretagne, comte de Pentièvre ; et se mirent au chemin, et exploitèrent tant que ils vinrent à Rennes. Le duc de Bretagne se tenoit moult closement avecques sa femme en la cité de Vannes, et ne chevauchoit point, car il doutoit les embûches et les rencontres de son adversaire, messire Olivier de Cliçon, car ils faisoient guerre si felle et si dure que, là où leurs gens se trouvoient sur les champs, il n’y avoit nul mercy ; il convenoit que la place demeurât aux plus forts ; et tout étoit occis quand on en venoit au-dessus : si se doutoient l’un de l’autre. Bien y avoit cause et raison ; et quoique le duc soit le souverain du pays, si ne trouvoit-il baron, chevalier ni écuyer de Bretagne qui se voulsist armer avecques lui, à l’encontre de messire Olivier de Cliçon ; mais s’en dissimuloient tous, et disoient que celle guerre ne leur touchoit en rien. Ainsi les laissoient-il convenir ; et se tenoit chacun chez soi ; ni le duc n’en pouvoit avoir autre confort.

Quand les dessus nommés chevaliers de France furent venus en la cité de Rennes, ils enquirent, au plus véritablement qu’ils purent, où on trouveroit messire Olivier de Cliçon ; nul ne leur en savoit à dire la vérité. Donc eurent-ils avis et conseil que ils se trairoient devers Chastel-Jos-