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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

furent les connoissances et accointances de ces ducs belles à voir. Après ce que les ducs se furent ainsi recueillis et conjouis, le gentil comte Dauphin d’Auvergne, qui du temps qu’il fut ôtage en Angleterre avoit eu grand amour et compagnie au duc de Lancastre, et pour ce temps assez s’entre aimoient, s’avança et vint tout à cheval incliner et conjouir le duc de Lancastre. Et quand le duc l’eut reconnu et avisé, si l’accolla moult étroitement et lui fit grand’signifiance d’amour et de bon cœur ; et quand ils eurent une espace parlé ensemble ils cessèrent, car le duc de Berry et le duc de Bourgogne vinrent, qui reprirent la parole au duc de Lancastre et le duc à eux ; et le duc de Bourbon, le sire de Coucy et le conte de Saint-Pol, s’approchèrent du duc d’Yorch, messire Aimon, du comte de Hostidonne et de messire Thomas de Percy, et se conjouirent et entre accueillirent de paroles traitables et amoureuses. Et tousdis approchoient-ils la cité d’Amiens.

À entrer dedans la cité d’Amiens furent les honneurs moult grands ; car le duc de Lancastre chevauchoit entre le duc de Berry et le duc de Bourgogne ; mais quand leurs chevaux mouvoient, c’étoit tout d’un pas ; aussi avant étoient les têtes des chevaux les unes comme les autres ; et bien entre eux trois y prenoient garde. Et passèrent tous trois, et de front ainsi, dessous la porte d’Amiens en chevauchant tout le petit pas, en honorant l’un l’autre jusques au palais de l’évêque où le roi et le duc de Touraine étoient, et là descendirent et montèrent les degrés ; et tenoient les deux ducs de Berry et Bourgogne par les mains, en montant les degrés du palais et en allant devers le roi, les deux ducs frères d’Angleterre ; et tous les autres seigneurs venoient par derrière.

Quand ils furent venus devers le roi, les trois ducs de France qui les adextroient, et les autres barons de France, s’agenouillèrent devant le roi. Mais les deux ducs d’Angleterre demeurèrent en leur estant ; un seul petit s’inclinèrent pour honorer le roi. Le roi vint tantôt jusques à eux et les prit par les mains, et fit lever ses oncles et les autres seigneurs, et puis parla moult doucement à eux, et eux à lui ; et s’entre accointèrent de paroles, et ainsi tous les autres barons de France parloient aux barons et chevaliers d’Angleterre ; et ces accointances premières faites, les seigneurs d’Angleterre, qui là étoient pour l’heure, prirent congé au roi, à son frère et à leurs oncles. On leur donna. Si issirent hors de la chambre et furent aconvoyés bien avant, et descendirent les degrés du palais ; puis montèrent sur leurs chevaux, puis s’en vinrent bien accompagnés à leurs hôtels, et les aconvoyèrent le connétable de France, le sire de Coucy, le comte de Saint-Pol, messire Jean de Vienne et plusieurs autres barons de France ; et quand ils les eurent mis à leurs hôtels, ils prirent congé et retournèrent devers le roi ou à leurs hôtels. La fille au seigneur de Coucy, madame d’Irlande, fut logée avecques son père et toutes ses gens aussi.

Ordonné étoit, de par le roi de France et son conseil, avant que les seigneurs d’Angleterre vinssent en la cité d’Amiens, et l’ordonnance on l’avoit signifiée et publiée à tous, afin que nul ne s’en pût par ignorance excuser et que chacun selon son état se gardât de mesprendre, que nul ne fût si outrageux, sur peine d’être décollé, qu’il eût parole rigoureuse, débat ni riote en la cité d’Amiens, ni au dehors aux Anglois ; et que nul chevalier ni écuyer, sur peine d’être en l’indignation du roi, ne parlât d’armes faire ni prendre à chevalier ni écuyer d’Angleterre ; et que tous chevaliers et écuyers de France conjouissent, fût ès champs, au palais ou ès églises, de douces paroles et courtoises les chevaliers et écuyers d’Angleterre ; et que nuls pages ni varlets des seigneurs de France, sur la tête perdre, n’émût débat ni riote hors de son hôtel à qui que ce fût ; et que tout ce que chevaliers et écuyers demanderoient, il leur fût donné et abandonné ; et que nul hôte, sur se forfaire, ne demandât ni prît de leur argent pour boire, ni pour manger, ni pour autres communs frais. Item étoit ordonné que nul chevalier ni écuyer de France ne pouvoit aller de nuit sans torches ou torchis, mais les Anglois y pouvoient bien aller, si ils vouloient ; et fut ordonné qui si un Anglois étoit de nuit trouvé ni encontré sur les chaussées, que on le devoit doucement et courtoisement reconvoyer et remettre à son hôtel ou entre ses gens. Item étoient ordonnés à quatre carrefours à Amiens quatre guets, et en chacun guet mille hommes ; et si feu se prenoit en la ville de nuit par aucune incidence, les guets ne se devoient mouvoir de leur place, mais au son