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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

écuyers saillirent avant, Ramonnet Lane et Ramonnet de Copane ; et Ernaudon d’Espaigne prit le bassin d’argent, et un autre chevalier qui se nommoit messire Thibault prit la touaille. Il se leva du siége et tendit les mains avant pour laver. Si très tôt que l’eau froide descendit sur ses doigts que il avoit beaux, longs et droits, le viaire lui pâlit, le cœur lui tressaillit, les pieds lui faillirent, et chéy là sur le siége tourné, en disant : « Je suis mort. Sire vrai Dieu, merci ! » Oncques puis ne parla, mais il ne dévia pas si très tôt, et entra en peines et en transes.

Les chevaliers qui là étoient tous ébahis, et son fils, le prirent et le portèrent sur un lit entre leurs bras moult doucement, et le couchèrent et couvrirent, et cuidèrent qu’il eût eu

    cras : Plus occist replection de viandes que ne fait glaives ne coutiaulx ; et comme ils boivent et mangent moins que gens du monde ; car au matin, à l’assemblée, ils ne mangeront qu’un pou, et si au vespre ils souppent bien, au moins auront-ils à matin corigié leur nature ; car ils auront pou mangé, et nature ne sera point empeschée de faire la digestion, par quoi males humeurs ne superfluités se puissent engendrer. Et toutes voies, quant un homme est malade et que on le met en diette, et ne li donne l’en que de l’yaue de sucre et de tels chosetes, deux ou trois jours, ou plus pour abaissier ses humeurs et ses superfluités, et encore en ouitre le feront-ils vuider ; au veneur il ne faut pas faire cela ; car il ne peut avoir replection, par le petit manger et le travail qu’il a ; et supposé, ce que ne peut être, que fut ores plain de mauvaises humeurs, si scet-on bien que le plus grand terme de maladie qui puisse estre est suour. Et comme les veneurs si font leur office à chevau ou à pié, convient que en la suour s’en aille, s’il y a rien de mal ; mais qu’ils se gardent de prendre froit quant ils seront chaus. Si me semble que j’ay assez prouvé : car petit manger font faire les mires aux malades pour garir et suer, pour aterminer et garir du tout ; et comme les veneurs mangent petit et suent tous-jours, doivent-ils vivre longuement et sains ; et on désire en cest monde à vivre longuement et sain et en joie, et après la fin la salvacion de l’âme ; et veneurs ont tout cela. Donc soyez tous veneurs et ferez que sages. Et pour ce je loe et conseille à toute manière de gens, de quelque estat qu’ils soyent, qu’ils aiment les chiens et les chasces et deduis, ou d’une beste ou d’aultre, ou d’oysiaulx ; car d’estre oyseux sans aimer deduis de chiens ou d’oysiaulx, oncques, se m’aist Diex, n’en vy prodomme pour quant qu’il fut riches ; car ce part de très lasche cuer, quant on ne veult travailler ; et s’il avoit besoing ou guerre, il ne saroit que ce seroit ; car il n’a pas acoustumé le travail ; et convendroit que autre feist ce qu’il deust faire ; car on dit toujours : Tant vault seigneur, tant vault ses gens et sa terre. Et aussi dis-je, que oncques ne vy homme qui aimast travail et déduit de chiens ou d’oysiaulx, qui n’eust moult de bonnes coustumes en lui ; car ce il vient de droite noblesce et de gentillesce de cuer, de quelqu’estat que l’homme soit, ou grant seigneur, ou petit, ou povre, ou riche. »

    Quelques personnes pensent que le beau manuscrit du Roi est l’original même envoyé au duc de Bourgogne. Mais rien ne me semble confirmer cette assertion ; je lis au contraire dans la dernière page, qu’à la copie originale de son Traité des déduits de la chasse Gaston avait joint une oraison dédiée aussi à Philippe, et elle ne se trouve pas ici.

    « Et aussi, dit Gaston, li envoyé-je unes oroysons que je fis jadis quant nostre seigneur fut courroucié à moy »

    Le manuscrit de la bibliothèque du Palais-Royal a été donné le 22 juillet 1661 par le marquis de Rignaut à Louis XIV, à Fontainebleau, ainsi que le prouve une attestation de La Mesnardière, lecteur ordinaire de la chambre. Louis XIV en fit présent au comte de Toulouse, des mains duquel il passa dans celles de M. le duc de Penthièvre, puis dans celles de madame la duchesse douairière d’Orléans, et enfin dans la bibliothèque de M. le duc d’Orléans, aujourd’hui roi. Dans le même volume se trouve un roman en vers sur la Fauconnerie, aussi sur parchemin, mais d’une écriture moderne. Le même poëme a déjà été imprimé à la suite des Déduits de la chasse, de Gaston de Foix, ce qui a fait croire à quelques bibliographes qu’il était aussi de Gaston, mais il est véritablement de Gace de la Vigne, ainsi qu’on peut s’en convaincre par les vers suivans omis dans le manuscrit du Palais-Royal et dans les imprimés, et qui terminent tous les manuscrits du Roi que j’ai consultés.

    Gaces a fait ceste besoingne
    Pour Philippes duc de Bourgoingne
    Son très chier redoubté seigneur
    À qui Jhésus-Christ croisse honneur.
    Si lui supplie à son pouvoir
    Qu’en gré le vueille recevoir
    En suppléant, quant le verra
    Les deffaulx qu’il y trouvera ;
    Et prie à ceulx qui l’orront lire
    Qu’après sa mort ils vueillent dire,
    Que Dieulx lui pardoint ses deffaul,
    Car moult ayma chyens et oyseaulx.

    On lit aussi dans la Bibliothèque de Lacroix du Maine et Du Verdier qu’un manuscrit de ce poème, qui était dans la bibliothèque de monsieur de Selle, portait ces mots : « Gace de la Vigne, jadis premier chapelain de très excellent prince le roi Jean de France, que Dieu absolve ! commença ce roman à Redefort, en Angleterre, l’an 1359, du mandement du dit seigneur, afin que son quart fils, duc de Bourgoingne, qui adonc étoit jeune, apprît les déduits pour eschever le péché oiseulx, et qu’il en fut mieux enseigné en mœurs et vertus : et depuis le dit Gace l’a parfait à Paris. » D’après cette remarque, on est étonné que La Croix du Maine dise, dans le même article, que ce roman en vers fut écrit en l’honneur de Philippe de Valois, roi de France, puisque et l’épilogue et la note qu’il rapporte mentionnent Philippe, duc de Bourgogne, et non Philippe VI, roi de France. Mais telle est l’inexactitude avec laquelle les manuscrits se trouvent souvent copiés, que les erreurs les plus grossières s’y reproduisent à chaque instant, et qu’on rend obscurs ou inintelligibles les passages les plus curieux, les plus clairs et les mieux imprimés. Le savant Cuvier, dont l’esprit étendu embrassait tout, en a redressé une de ce genre dans ce même