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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

comte d’Ostrevant ; et dit adonc le roi : « Or regardez ; il n’y a pas un an que on me prioit que son frère fût évêque de Cambray ; laquelle chose seroit à présent, selon les nouvelles que nous oyons trop préjudiciables ? Trop mieux vaut que notre cousin de Saint-Pol soit en la possession de l’évêché de Cambray que Jean de Hainaut : les Hainuiers ne nous firent oncques bien, ni jà ne feront. Ils sont orgueilleux et présomptueux, et ont toujours eu à grâce trop plus les Anglois que nous ; mais un jour viendra que ils s’en repentiront chèrement. Nous voulons, dit le roi, mander à ce comte d’Ostrevant que il vienne devers nous faire ce qu’il doit, c’est hommage de la comté d’Ostrevant ; ou nous lui ôterons et le attribuerons à notre royaume. » Tous ceux du conseil du roi, et par science, répondirent et dirent : « Sire, vous parlez bien, et ainsi doit-il être fait. »

Vous devez savoir que le duc de Bourgogne, de qui la fille le comte d’Ostrevant avoit à femme, ne fut pas réjoui de ces nouvelles, car toujours avoit-il porté et avancé son fils d’Ostrevant devers le roi et les royaux.

Celle chose ne demeura pas à non chaloir ; mais escripsit le roi de France lettres moult dures, et les envoya au comte d’Ostrevant, qui se tenoit au Quesnoy en Hainaut, en lui signifiant et mandant que il vint à Paris faire hommage, présens les pairs, au roi, et relever la comté d’Ostrevant, ou il lui ôteroit et lui feroit guerre. Le comte d’Ostrevant, quand il eut vues les lettres et lues, vit bien et sentit que le roi de France et son conseil étoient dur informés et indignés contre lui. Si prit loisir de répondre aux lettres ; et assembla son conseil, le seigneur de Fontaines, le seigneur de Gommignies, messire Guillaume des Hermoies, le seigneur de Trasignies, le bailli de Hainaut seigneur de Senselles, messire Race de Montigny, l’abbé de Crespin, Jean Seuwart et Jaquemart Barret de Valenciennes. Ces sages hommes, pour répondre aux lettres du roi, se mirent ensemble et parlementèrent moult longuement, et là eut mainte parole proposée et retournée. Tout considéré, avisé fut pour le meilleur et le plus sûr, que on récriroit au roi, et aussi à son conseil, sur forme et manière de prendre jour de répondre clairement aux demandes que on faisoit, par bouche et de personnes créables, non par lettres. Et en ces detriances on envoieroit du conseil notables personnes devers le comte de Hainaut, le duc Aubert, pour avoir sens plus discerné pour répondre.

Ainsi fut fait. On escripsit doucement et pourvument au roi et à son conseil. Tant que de ces premières lettres on s’en contenta assez, et depuis on se pourvéy d’envoyer en Hollande le seigneur de Trasignies et le seigneur de Senselles, Jean Seuwart et Jacques Barret. Cils parlèrent au comte de Hainaut, et lui remontrèrent l’état des pays de Hainaut, et la forme des lettres que le roi de France avoit escriptes et envoyées devers son fils, le comte d’Ostrevant. Le comte de Hainaut fut tout mérencolieux de ces paroles, et dit à ceux qui lui en parloient : « Je n’en pensois ni attendois autre chose. Guillaume mon fils n’avoit que faire en Angleterre. Je lui ai baillé et livré le gouvernement de la comté de Hainaut. Or en fasse et use par le conseil qui est au pays. Trayez-vous vers beau cousin de Bourgogne, car il est bien taillé de pourvoir et mettre ordonnance à toutes ces choses. Et des demandes que le roi fait, pour le présent je ne vous en saurois autrement conseiller. »

Sur cel état, ceux qui furent envoyés en Hollande retournèrent en Hainaut et firent réponse. On se contenta assez. Donc furent ordonnés pour aller devers le roi en France et le duc de Bourgogne : le sire de Trasignies, messire Guillaume des Hermoies, messire Race de Montigny, Jean Seuwart et Jacques Barret. Toutes les incidences qui dépendent de ces besognes seroient trop longues à recorder et proposer qui de toutes voudroit parler. Finablement la conclusion fut telle, quoiqu’on eût à aide et à bon moyen le duc de Bourgogne, il convint le comte d’Ostrevant aller à Paris et faire son devoir de relever la comté d’Ostrevant et en reconnoître l’hommage être dû au roi de France. Autrement on eût eu la guerre toute prête en Hainaut ; et y rendoient grand’peine pour l’avoir le sire de Coucy et messire Olivier de Cliçon. Mais messire Jean le Mercier et le sire de la Rivière le brisoient en tant qu’ils pouvoient.

Nous nous souffrirons à parler de cette matière, et encore en ayons-nous parlé trop longuement, et retournerons aux barons et chevaliers de France, qui tenoient le siége devant la forte ville d’Auffrique.