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LIVRE III.

du commandement, il sera puni et corrigé tellement que les autres se exemplieront. »

Lors issit le comte de ce propos et prit un autre pour plus solacier messire Gautier, car trop volontiers il gengle et bourde à tous chevaliers estraingnes ; et au départir de lui, veulent ou non, il faut qu’ils s’amendent de lui.

« Messire Gautier, dit le comte de Foix, maudite soit la guerre de Castille et de Portingal ; je m’en dois trop plaindre, car oncques je ne perdis tant à toutes fois que je perdis en une saison en la guerre du roi de Portingal et de Castille, car toutes mes bonnes gens d’armes du pays de Berne sur une saison y furent morts. Et si leur avois bien dit, au partir et au congé prendre, que ils guerroyassent sagement, car Portingallois sont dures gens d’encontre et de fait, quand ils se voyent au-dessus de leurs ennemis, ni ils n’en ont nulle merci. Je le vous dis pourtant, messire Gautier, quand vous viendrez en Castille, entre vous et messire Guillaume de Lignac, qui êtes conduiseurs et capitaines de ces gens d’armes à présent qui sont passés et qui passeront, vous serez requis espoir du roi de Castille de donner conseil. Je vous avise que vous ne vous hâtiez trop ni avanciez de conseiller de combattre, sans votre grand avantage, le duc de Lancastre, le roi de Portingal, Anglois et Portingallois, car ils sont familleux. Et désire le duc de Lancastre, aussi les Anglois désirent, à avoir bataille pour deux raisons : ils n’eurent, grand temps a, profit ; mais sont povres et n’ont rien gagné, trop a long-temps, mais toujours perdu. Si désirent à eux aventurer pour avoir nouvel profit. Et tels gens qui sont aventureux et qui convoitent l’autrui se combattent hardiment et ont volontiers fortune pour eux. L’autre raison est telle : que le duc de Lancastre sait tout clairement que il ne peut venir parfaitement ni paisiblement à l’héritage de Castille qu’il demande et challenge de par sa femme qui s’en dit héritière, fors par bataille. Et sait bien et voit que, si il avoit une journée pour lui et que le roi de Castille fût déconfit, tout le pays se rendroit à lui et trembleroit contre lui. Et en celle instance est-il venu en Galice, et a donné une de ses filles par mariage au roi de Portingal, qui lui doit aider à soutenir sa querelle. Et je vous en avise pourtant que, si la chose alloit mal, vous en seriez plus demandé, vous et messire Guillaume de Lignac, que ne seroient tous les autres. »

« Monseigneur, répondit messire Gautier, grands mercis qui le me dites et qui m’en avisez. Je me dois bien exemplier par vous, car aujourd’hui vous êtes entre les princes chrétiens recommandé pour le plus sage et le plus heureux de ses besognes ; mais mon compagnon et moi avons encore souverain dessus nous, monseigneur le duc de Bourbon ; et jusques à tant que il sera venu et entré en Castille, nous ne nous hâterons ni ne avancerons de combattre les ennemis pour personne qui en parle. »

Atant rentrèrent-ils en autres jangles, et furent là parlant et eux esbattant ensemble en plusieurs manières bien trois heures ou environ que le comte de Foix demanda le vin. On l’apporta. Si but, et messire Gautier de Passac, et tous ceux qui là étoient. Et puis fut pris le congé. Si rentra le comte en sa chambre, et messire Gautier retourna en son hôtel ; et l’accompagnèrent les chevaliers de l’hôtel jusques à là. On ne vit point le comte de Foix jusques à son souper, une heure largement après mie-nuit que messire Gautier y retourna et soupa avecques lui.

À lendemain, après dîner, prit messire Gautier de Passac congé du comte et le comte lui donna. Et au partir, avecques tout ce, on lui présenta de par le comte un très bel coursier et une très belle mule. Le chevalier, c’est à savoir messire Gautier, en remercia le comte, et les fit mener à l’hôtel. Tout son arroy étoit prêt. Si monta et montèrent ses gens et issirent hors d’Ortais, et vinrent gésir ce jour à Erciel, et à lendemain au soir, ils s’en allèrent à Tarbes, car ils chevauchèrent ce jour grand’journée pour avancer leur besogne.

Quand messire Gautier fut venu à Tarbes, il s’arrêta là, et s’avisa que il manderoit à messire Guillaume de Lignac tout son état, et comment il avoit exploité devers le comte de Foix, ainsi que il fit. Et lui mandoit que il fit traire avant toute sa route, car ils trouveroient le pays de Berne et toutes les villes du comte ouvertes, en payant tout ce que ils prendroient, et autrement non.

Le messager qui apporta lettres de par messire Gautier exploita tant qu’il vint à Toulouse. Si fit son message. Quand messire Guillaume eut lu le contenu des lettres, si fit à savoir à tous