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LIVRE II.


CHAPITRE XXXII.


Comment le roi de France envoya une grosse armée de gens d’armes pour lever le siége que tenoient les Anglois devant Saint-Malo de l’Isle ; et de plusieurs escarmouches qui s’y firent.


Le roi de France qui se tenoit pour le temps en la cité de Rouen[1] avoit bien entendu comment les Anglois avoient assiégé puissamment la ville de Saint-Malo, et presque tous les jours ses gens qui dedans se tenoient étoient assaillis et durement astreints. Si ne vouloit mie perdre ses gens ni la bonne ville de Saint-Malo ; car si elle étoit Englesche, Bretagne en seroit de ce côté-là trop affoiblie. Si avoit le roi de France en cette instance, pour eux conforter et remédier contre la puissance des Anglois, fait un très grand mandement auquel nul n’avoit osé désobéir ; et s’avalèrent atout très grand’puissance de gens d’armes ses deux frères le duc de Berry et le duc de Bourgogne, le duc de Bourbon, le comte de la Marche, le Dauphin d’Auvergne, le comte de Genève, messire Jean de Boulogne et grand’foison de barons, de chevaliers et de bonnes gens d’armes. Et manda le roi à son connétable messire Bertran de Glaiquin que nullement il ne laissât que il ne fût à cette assemblée. Le connétable ne voulut mie désobéir ; mais vint atout grands gens d’armes d’Anjou, de Poitou, de Touraine. Aussi firent les deux maréchaux de France, le maréchal de Blainvilie et le maréchal de Sancerre ; d’autre part revinrent messire Olivier de Cliçon, le vicomte de Rohan, le sire de Laval, le sire de Raiz, le sire de Rochefort, le sire de Dinant, le sire de Léon et tous les chevaliers et barons de Bretagne ; et furent bien dix mille hommes d’armes ; et étoient sur les champs plus de cent mille chevaux. Si se logèrent tous ces gens d’armes de France au plus près de leurs ennemis par raison qu’ils purent ; mais il y avoit entre eux un flun de mer et une rivière ; et vous dis que, quand la mer étoit retraitée, aucuns jeunes chevaliers et écuyers, qui avanturer se vouloient, s’abandonnoient en cette rivière plate et y faisoient de grands appertises d’armes. Oncques si belle ni si grande assemblée de nobles chevaliers ne fut faite en Bretagne comme elle fut là ; car si les François y étoient puissamment, aussi étoient les Anglois. Et se cuidoient bien les uns et les autres combattre ; car ils en faisoient tous les jours les apparences ; et s’ordonnoient sur les champs, bannières et pennons ventilans, et se remontroient en bataille. De voir la puissance des François et la grand’foison des seigneurs, des bannières et pennons qui l’à étoient, grand plaisance étoit. Et s’ordonnoient par batailles, et venoient sur la rivière, et montroient par semblant proprement que ils se vouloient combattre. Et le cuidoient les Anglois en disant ainsi : « Vecy nos ennemis qui tantôt à basse eau passeront la ri-

    dans le tome II de ses mémoires pour servir à l’histoire de Charles II, roi de Navarre, et par D. Morice, dans le tome Ier des preuves de l’Histoire de Bretagne ; elles répandent au moins quelque jour sur l’histoire de cette expédition de Normandie. Nous, en avons recueilli les principales époques.

    Dès le 8 avril 1377, avant Pâques, Charles V avait donné au duc de Bourgogne le gouvernement général des troupes destinées à réduire sous l’obéissance du roi les villes, châteaux et forteresses du roi de Navarre en Normandie.

    En avril, les forteresses et châteaux du Pont-d’Ouve et de Bernay, et la ville d’Avranches furent rendus au roi.

    En mai. Au commencement de ce mois, au plus tard, le fort de Remerville fut pris d’assaut. Le 6, Beaumont-le-Roger fut rendu. On assiégeait ce jour-là Breteuil, et le duc de Bourgogne était devant Gauray, qui fut pris ou rendu avant le 12. Saint-Lo l’était avant le 9 mai, et Évreux avant le 11 mai. Des lettres de Charles V, du même mois, sans la date du jour, supposent que Mortain tenait encore, mais il était rendu avant le 3 juillet. La ville de Pont-Audemer avait été mise sous l’obéissance du roi, le 1er juin, par l’amiral Jean de Vienne ; ainsi la conjecture de M. Secousse, qui croit que la reddition de cette place pourrait être du 13 juin, tombe d’elle-méme.

    Des actes de la fin de juin font mention de la prise de Pacy, Nogent-le-Roy et Anet ; d’autres de la fin de juillet, supposent Breval rendu, mais n’apprennent rien sur la date précise de la reddition de ces places à laquelle elles peuvent être de beaucoup postérieures. Le qu’il y a de certain, c’est que les généraux de Charles V s’emparèrent pendant le printemps et l’été de 1378 de toutes les places de Normandie qui appartenaient au roi de Navarre, à l’exception de Cherbourg.

  1. On ne voit pas comment Charles V pouvait être à Rouen, lorsqu’il apprit la nouvelle du siége de Saint-Malo par les Anglais. Froissart dit ci-dessus que le duc de Lancastre et le comte de Cambridge, chefs de cette expédition, ne purent partir d’Angleterre avant la Saint-Jean-Baptiste à cause des vents contraires. Or à la Saint-Jean-Baptiste, il y avait déjà environ six semaines que Charles V était à Paris ; car dans le recueil des pièces justificatives de l’Histoire de Charles-le-Mauvais, toutes les lettres de Charles V sont datées de Paris ou du château du bois de Vincennes dès le 11 du mois de mai, et l’on n’en trouve aucune datée de Rouen, pendant le reste de cette année, ni dans le recueil des pièces ni dans le recueil des ordonnances du Louvre.