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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

étoient ; et leur fut dit : « Vos gens se départiront bien, quand ils voudront ; mais point de ce pays ne partirez ni isterez, si serons tous satisfaits des dommages que en cette saison pour faire votre armée avons eus. »

Ces nouvelles et remontrances furent moult dures à messire Jean de Vienne, au comte de Grant-Pré, au seigneur de Vodenay et aux barons du royaume de France ; et remontrèrent au comte de Douglas et au comte de Mouret qui, par semblant, étoient courroucés de la dureté qu’ils trouvoient aux Escots, que ils ne faisoient mie en Escosse ainsi que bonnes gens d’armes et amis au royaume de France devoient faire, quand ainsi les vouloient mener et appaticer ; et que ils se mettoient bien en parti que jamais chevalier d’Escosse n’auroit que faire de venir en France. Ces deux comtes dessus nommés, qui assez propices étoient aux barons de France, le remontrèrent à leurs gens. Les aucuns disoient que ils se dissimuloient avecques eux et que ils étoient participans à toutes ces besognes ; car autant bien y avoient-ils perdu que les autres. Et répondirent à l’amiral et aux barons de France, qu’ils n’en pouvoient rien faire, et convenoit, si ils vouloient issir d’Escosse, à ce s’étoit tout le pays arrêté, que les dommages fussent recouvrés. Quand l’amiral vit qu’il n’en auroit autre chose, si ne voult pas perdre le plus pour le moins ; car il se trouvoit hors de tout confort et enclos de la mer, et véoit les Escots de sauvage opinion. Si descendit à toutes leurs ententes, et fit faire un cri parmi le royaume d’Escosse que quiconque lui sauroit rien que demander ni à ses gens, mais que les dommages on lui pût reremoutrer justement, on se trait devers lui, et tout seroit satisfait, payé et restitué. Ces paroles amollirent moult ceux du pays ; et en fit l’amiral sa dette envers tous, et dit bien que jamais d’Escosse ne partiroit ni istroit si seroient tous les plaignans payés et pleinement satisfaits.

Adonc orent plusieurs chevaliers et écuyers passage et retournèrent en Flandre, à l’Escluse, et là où arriver pouvoient, tous affamés, sans monture et sans armure. Et maudissoient Escosse quand oncques ils y avoient entré ; et disoient que oncques si dur voyage ne fut, et qu’ils verroient volontiers que le roi de France s’accordât ou attrèvât aux Anglois un an ou deux, et puis allât en Escosse pour tout détruire ; car oncques si males gens que Escots sont, en nul pays ils ne virent, ni ne trouvèrent si faux, ni si traîtres, ni de si petite connoissance.

L’amiral de France, par les premiers retournans deçà la mer et par ceux de son hôtel, escripsit tout son état au roi de France et au duc de Bourgogne ; et comment les Escots le menoient et avoient mené ; et si on le vouloit r’avoir on lui envoyât toute la somme telle comme il l’avoit faite aux Escots et dont il s’étoit endetté, et tant de gages qu’il étoit tenu par promesses aux chevaliers et écuyers du pays d’Escosse ; car les Escots disoient que celle saison ils avoient guerroyé pour le roi de France, non pour eux ; et que les dommages que les François leur avoient faits, tant en bois couper pour eux loger et ardoir, que les blés et les avoines et les fourrages des champs que ils avoient pris et foulés à chevaucher parmi, en séjournant au pays, et en faisant leur guerre devoient leur être amendés ; et que sans tout ce satisfaire il ne pouvoit retourner ; car ainsi il avoit juré et promis aux barons d’Escosse ; et que du roi d’Escosse en toutes ces demandes il n’avoit en rien été aidé.

Le roi de France, le duc de Bourgogne et leurs consaulx étoient tenus de rachapter l’amiral, car ils l’avoient là envoyé. Si firent tantôt finance en deniers appareillés, et en furent paiemens faits en la ville de Bruges, et toutes les demandes des Escots là payées et satisfaites, tant que tous s’en contentèrent. Et se départit d’Escosse l’amiral aimablement, quand il ot bien payé ; autrement ne l’eût-il pu ni sçu faire ; et prit congé au roi qui étoit en la Sauvage Escosse, là se tient-il trop volontiers, et puis au comte James de Douglas et au comte de Mouret qui le reconvoyèrent jusques à la mer. Et monta en mer à Haindebourch, et ot vent à volonté, et arriva en Flandre à l’Escluse. Aucuns chevaliers et écuyers qui en sa compagnie avoient allé ne tinrent pas son chemin, mais vouldrent voir le pays outre Escosse. Si s’en allèrent aucuns en Norvège en Dannemarche, en Suède ou en Irlande, voir le purgatoire Saint-Patricle[1] ; et aussi les aucuns retournèrent par mer celle saison par Prusse. Mais la greigneur partie revinrent en France et arrivèrent à l’Escluse et au Crotoy. Et quelle part

  1. L’espèce de caverne appelée le Purgatoire de Saint-Patrick est sur les bords du lac Dergh.