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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

rebellassent plus ; et quand il eut été à Courtray six jours, il s’en alla à Douze, et de là à Bruges, et s’y rafraîchit environ quinze jours. Et adonc fit-il un grand mandement partout pour venir assiéger la ville de Gand ; car toute Flandre pour ce temps étoit appareillée à son commandement. Si se partit le comte de Flandre de Bruges moult efforcément, et s’en vint mettre le siége devant Gand, et se logea en un lieu que on dit en la Biette. Là vint messire Robert de Namur servir le comte à une quantité de gens d’armes, ainsi que il lui étoit escript et mandé ; mais messire Guillaume de Namur n’y étoit adonc point, ains étoit en France de-lez le roi et le duc de Bourgogne. Ce fut environ la Saint-Jean decolace[1] que le siége fut mis à Gand ; et étoit maréchal de tout l’ost de Flandre le sire d’Enghien, qui s’appeloit Gaultier, qui pour ce temps étoit jeune, hardi et entreprenant, et ne ressoignoit peine ni péril qui lui pût advenir. Quoique le comte de Flandre fût logé devant Gand à grand’puissance, si ne pouvoit-il si contraindre ceux de la ville que ils n’eussent trois ou quatre portes ouvertes, par quoi tous vivres sans danger leur venoient. Et aussi ceux de Brabant, et par espécial ceux de Bruxelles leur étoient moult favorables. Aussi étoient les Liégeois ; et leur mandèrent ceux du Liége pour eux réconforter en leur opinion : « Bonnes gens de Gand, nous savons bien que pour le présent vous avez moult à faire, et êtes fort travaillés de votre seigneur le comte et des gentilshommes, et du demeurant du pays, dont nous sommes moult courroucés ; et sachez que si nous étions à quatre ou à six lieues près marchissans à vous, nous vous ferions tel confort que on doit faire à ses frères, amis et voisins : mais vous nous êtes trop loin, et si est le pays de Brabant entre vous et nous ; pourquoi il faut que nous nous souffrions. Et pour ce, si vous êtes maintenant assiégés, ne vous déconfortez pas ; car Dieu sait, et toutes bonnes villes, que vous avez droit en cette guerre : si en vaudront vos besognes mieux. » Ainsi mandoient les Liégeois à ceux de Gand pour eux donner bon confort.


CHAPITRE XCI.


Comment messire Josse de Hallevin, chevalier, fut occis devant Gand à ung passage nommé le Long-Pont.


Le comte de Flandre, avoit assiégé la ville de Gand au-lez devers Bruges et par devers Courtray, car par devers Bruxelles, ni devers les Quatre-Métiers[2], ne pouvoit-il venir ni mettre le siége, pour les grandes rivières qui y sont, la Lys et l’Escaut. Et vous dis que, tout considéré, Gand est une des plus fortes villes du monde, et y faudroit bien plus de deux cent mille hommes, qui bien la voudroit assiéger et clorre tous les pas et les rivières ; et encore faudroit-il que les osts fussent séparées pour les rivières ; ni au besoin ils ne pourroient conforter l’un l’autre ; car il y a trop de peuple dedans la ville de Gand, et toutes gens de fait. Ils se trouvoient en ce temps, quand ils regardoient à leurs besognes, quatre vingt mille hommes, tous défendables et aidables, portant armes, dessous soixante ans et dessus quinze ans. Quand le comte eut été à siége environ un mois devant Gand, et que ses gens et le sire d’Enghien, et le Hazle son fils, eurent fait plusieurs escarmouches, et le jeune sénéchal de Hainaut, à ceux de Gand, dont un jour gagnoient et l’autre perdoient, ainsi que les aventures apportent, il fut conseillé que ils enverroient ceux de Bruges et ceux de Yppre et de Pourpringhe escarmoucher à un pas que on dit au Long-Pont. Et si on pouvoit ce pas gagner, ce leur seroit trop grand profit, car ils entreroient ens ès Quatre-Métiers, et si approcheroient Gand de si près comme ils voudroient. Adonc furent ceux ordonnés pour aller à ce Long-Pont ; et en fut capitaine meneur et conduiseur un moult prud’homme et hardi chevalier, qui s’appeloit messire Josse de Hallevin : avec lui y eut encore des chevaliers et écuyers ; mais messire Josse en étoit souverain chef. Quand ceux de Bruges, d’Yppre et de Pourpringhe furent venus à ce pas que on dit au Long-Pont, ils ne le trouvèrent pas dégarni, mais pourvu de grand’foison de gens de Gand ; et étoient Piètre du Bois, Piètre de Wintre et Rasse de Harselles au front devant. Là commença l’escarmouche moult grande et moult grosse, si très tôt que

  1. Décollation de saint Jean, le 29 août. Voyez, dans l’Addition qui suit ce livre, quelques détails nouveaux sur cette guerre des Flamands.
  2. On appelait ainsi les villes du plat pays Bouchotte, Assenede, Axele et Hulst.