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LIVRE I. — PARTIE I.

l’an mil trois cent vingt sept, jusques à lendemain que les seigneurs ouïrent messe.

Quand ce vint le jour saint Pierre que la messe fut dite, on fit chacun armer, et les batailles ranger aussi bien sur leur pièce de terre comme le jour devant ; et demeurèrent les deux osts tout le jour ainsi rangés, jusques après midi, que oncques les Escots ne firent semblant de venir vers les Anglois et aussi les Anglois d’aller vers eux ; car ils ne les pouvoient bonnement approcher sans trop grand meschef. Plusieurs compagnons anglois, qui avoient chevaux dont ils se pouvoient aider, passèrent la rivière[1], et aucuns à pied, pour escarmoucher à eux, et aussi se déroutèrent aucuns Escots qui couroient et racouroient tout escarmouchant l’un l’autre, tant qu’il y en eut de morts et de navrés et de prisonniers des uns et des autres. Ainsi comme après midi, les seigneurs d’Angleterre firent à savoir que chacun se traisist à sa loge, car leur sembloit qu’ils étoient là pour néant.

En cet état furent-ils par trois jours, et les Escots d’autre part sur leur montagne, sans partir. Toutefois y avoit-il tous les jours gens escarmouchans d’une part et d’autre, et souvent des morts et des pris ; et toutes les vesprées les Escots, à la nuit, faisoient par coutume si grands feux, et tant faisoient si grand bruit de corner et de huer, tous à une voix, qu’il sembloit proprement aux Anglois que ce fût un droit enfer, et que tous les diables fussent là assemblés, par droit avis. L’intention des seigneurs d’Angleterre étoit de tenir ces Escots là en droit assiégés, puisqu’ils ne se pouvoient bonnement à eux combattre, et les cuidoient bien affamer en leur pays ; et si savoient bien les Anglois, par les prisonniers qui pris étoient, que les Escots n’avoient nulle pourvéance de pain, de vin, ni de sel. Des bêtes avoient-ils grand’foison qu’ils avoient prises dedans le pays ; si en pouvoient manger en pot et en rôt à leur plaisir, sans pain, à quoi ils acomptoient moult peu, mais qu’ils eussent un peu de farine dont ils usent, ainsi que dit vous ai pardessus ; et aussi en usent bien aucuns Anglois, quand ils sont en leurs chevauchées et il leur touche.

Or avint que, le quatrième jour au matin que les Anglois avoient été logés là, ils regardèrent pardevers la montagne aux Escots ; si ne virent nullui, dont ils furent moult durement ébahis ; car ils s’en étoient partis à la mie-nuit. Si en eurent les seigneurs d’Angleterre grand’merveille, et ne pouvoient penser qu’ils étoient devenus : si envoyèrent tantôt gens à cheval et à pied par ces montagnes, qui les trouvèrent à heure de prime sur une montagne plus forte que celle de devant n’étoit, sur celle rivière même ; et étoient logés en un bois, pour être plus à repos et pour plus secrètement aller et venir quand ils voudroient.

Sitôt comme ils furent trouvés, on fit les Anglois déloger et traire celle part tout ordonnément, et loger sur une autre montagne, droit à l’encontre d’eux ; et fit-on les batailles ranger et faire semblant d’aller vers eux ; mais sitôt qu’ils virent l’ordonnance des Anglois et eux approcher, ils issirent hors de leurs logis et se vinrent ranger faiticement assez près de la rivière contre eux : mais oncques ne voulurent descendre, ni venir vers les Anglois ; et les Anglois ne pouvoient aller jusques à eux, qu’ils ne fussent tous morts et tous perdus d’avantage, ou pris à grand meschef. Si se logèrent là endroit contre eux, et demeurèrent huit jours[2] tous pleins sur cette seconde montagne, et tous les jours rangés contre eux. Si envoyoient les seigneurs d’Angleterre bien souvent leurs hérauts pardevers eux parlementer qu’ils voulussent livrer place et pièce de terre, ou on leur livreroit ; mais oncques à nul de ces traités ne se voulurent accorder. Si vous dis que en vérité l’un ost et l’autre en ces séjours eurent moult de mésaises.


CHAPITRE XLIII.


Comment messire Guillaume de Douglas se férit entour mie-nuit atout deux cents hommes en l’ost des Anglois et eu tua bien trois cents.


La première nuit que les Anglois furent logés sur celle seconde montagne à l’encontre des Escots, messire Guillaume[3] de Douglas, qui

  1. La rivière de Were.
  2. Plusieurs manuscrits et les imprimés portent 18 jours. Cette leçon ne saurait être adoptée, puisqu’il est certain qu’Édouard était de retour à Yorck, au plus tard le 15 d’août.
  3. Il a déjà été dit que son nom était Jacques de Doublas et non Guillaume.