Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome I, 1835.djvu/91

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
[1327]
23
LIVRE I. — PARTIE I.

des archers qu’ils les haioient plus assez que les Escots qui tous les jours leur ardoient leurs pays. Et disoient bien les aucuns chevaliers et barons d’Angleterre aux seigneurs de Hainaut, qui point ne les haoient, pour eux aviser et mieux garder : que ces archers et autres communes d’Angleterre étoient recueillis et alliés plus de six mille ensemble, et menaçoient les Hainuyers d’eux venir tous ardoir et tuer en leurs hôtels, de nuit et de jour, et ne trouveroient personne de par le roi ni des barons qui les osât aider ni secourir. Donc, s’ils étoient en grand’mésaise de cœur et en grand’hideur quand ils oyoient ces nouvelles, ce ne fait point à demander ; ni ils ne savoient quelque chose penser ni aviser qu’ils pussent faire selon ces nouvelles ; ni ils n’avoient espérance de retourner en leur pays, ni de jamais voir ni parler à nuls de leurs amis ; ni ils n’osoient éloigner le roi ni les hauts barons ; et si ne pouvoient sentir nul confort pour eux aider ni garantir. Si n’avoient autre entente fors que d’eux bien vendre, et leurs corps défendre chacun, et aider l’un l’autre jusqu’à la mort.

Si firent les chevaliers de Hainaut et leur conseil plusieurs bonnes ordonnances, par grand avis, pour eux mieux garder et défendre, par lesquelles il convenoit toujours gésir par nuit armés, et par jour tenir en leurs hôtels, et les harnois avoir appareillés, et les chevaux tous ensellés ; et les convenoit toujours, par nuit et par jour, guéter par connétablies, les champs et les chemins d’entour la ville, et envoyer aucunes écoutes demie lieue loin de la ville, pour écouter si gens viendroient, ainsi que informés étoient et qu’on leur rapportoit et leur disoient chacun jour gens créables, chevaliers et écuyers, qui bien le cuidoient savoir. Par quoi, si ces écoutes ouïssent gens émouvoir pour venir devers la ville, ils se devoient retraire vers ceux qui gardoient les champs, pour eux maintenir et aviser, afin qu’ils fussent plutôt montés et appareillés et venus ensemble, chacun à sa bannière, en une place qui pour ce étoit avisée et ordonnée.


CHAPITRE XXXII.


Comment les Hainuyers furent en grand meschef et peine par l’espace de quatre semaines, pour la crainte des Anglois.


En cette tribulation demeurèrent eux en ce faubourg, par l’cspacc de quatre semaines, que tous les jours on leur rapportoit telles nouvelles ou pires assez, et telles fois pires un jour que l’autre ; et en virent plusieurs apparences, qui durement les ébahissoit. Car au voir dire, ils n’étoient qu’une poignée de gens dedans, au regard de la communauté du royaume d’Angleterre qui là étoit assemblée, ni ils n’osoient éloigner leurs hôtels, ni leurs armures, ni entrer en la cité, excepté les seigneurs qui alloient voir le roi et la roine et leur conseil, pour festier et pour apprendre des nouvelles ; ni ne savoient combien longuement on les tiendroit en telle angoisse. Et si le meschef de la mésaventure et le péril n’eût été, ils séjournoient assez aise ; car la cité et le pays d’entour eux étoit si plentureux que, en plus de six semaines que le roi et tous les seigneurs d’Angleterre et les étrangers, et leurs gens, dont il y avoit plus de soixante mille hommes, séjournèrent là, ne renchérirent les vivres qu’on n’eût la denrée pour un denier, aussi bien qu’on avoit par avant qu’ils vinssent ; bons vins de Gascogne, d’Ausay[1] et de Rhin à très bon marché, poulaille et toutes manières d’autres vivres aussi ; et leur amenoit-on devant leurs hôtels le foin, l’avoine et la litière, dont ils étoient bien servis et à bon marché.


CHAPITRE XXXIII.


Comment le roi d’Angleterre se partit de la cité de Ébruich atout son ost pour aller vers Escosse, et comment les Escots entrèrent en Angleterre.


Quand ils eurent là séjourné par l’espace de quatre semaines après la bataille, on leur fit à savoir, de par le roi et les maréchaux, que chacun se pourvût dedans celle autre semaine, de charrettes et de tentes, pour gésir aux champs, et tous autres outils nécessaires pour aller par devers Escosse, car le roi ne pouvoit là plus séjourner.

Adonc se pourvut chacun au mieux qu’il put,

  1. Quelques manuscrits disent Ausoies, d’autres Aussy : lord Berners dit Angiew, Anjou La ressemblance du nom cité dans les manuscrits français avec celui d’Auxois, canton de Bourgogne qui produit beaucoup de vins, aurait pu faire croire qu’il s’agissait ici de ce canton : mais on ne saurait douter que le mot Ausay ne désigne l’Alsace, qu’on trouve souvent appelée de ce nom dans les historiens des quatorzième et quinzième siècles. On sait d’ailleurs qu’à cette époque les vins de Bourgogne ne sortaient guère de la province, tandis que ceux d’Alsace étaient depuis long-temps recherchés de toute l’Europe.