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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

chevauchées ; et très volontiers eût trouvé à jeu parti la garnison de Cherbourg ; car il ne désiroit rien tant qu’il les pût combattre ; car il se sentoit bon chevalier, vaillant, renommé, hardi et entreprenant, et considéroit qu’il avoit fleur de gens d’armes avecques lui de ses garnisons.

En ce temps même fut envoyé capitaine de Cherbourg un chevalier anglois, appelé messire Jean Harleston, de qui j’ai plusieurs fois parlé çà arrière ; si avoit été grand temps capitaine de Guines ; lequel monta en mer à Hantonne, à trois cents hommes d’armes et autant d’archers. Tant nagèrent qu’ils arrivèrent à Cherbourg ; et étoit de sa route un vaillant chevalier de Savoie, appelé messire Othe de Grantçon ; et des Anglois y étoient messire Jean Aubourg, messire Jean Oursellé et plusieurs chevaliers et écuyers. Sitôt qu’ils furent arrivés, ils mirent hors leurs chevaux et harnois et se rafreschirent aucuns jours, et mirent leurs besognes à point, et commencèrent à chevaucher sur le pays et faire grand’guerre. Aussi messire Guillaume des Bordes subtilloit nuit et jour comment et en quelle manière il leur pût porter dommage. Si sachez que en celle saison les deux capitaines mirent maintes embûches l’un sur l’autre à peu de fait ; car l’aventure ne donnoit mie qu’ils trouvassent l’un l’autre, fors aucuns compagnons qui s’aventuroient follement, tant pour honneur acquérir comme pour gagner et trouver aventures. Ceux s’entr’encontrèrent souvent et ruèrent l’un l’autre jus ; l’un jour gagnoient les François et l’autre perdoient, ainsi que faits d’armes se démènent.


CHAPITRE CCCXCVII.


Comment la garnison de Cherbourg déconfit la garnison de Montbourg ; et comment messire Guillaume des Bordes fut pris et rançonné ; et de la bonne pourvéance que le roi Charles de France y fit.


Tant chevauchèrent l’un sur l’autre que messire Guillaume des Bordes se partit une matinée de Montbourg, et toute sa garnison, en volonté de chevaucher devant Cherbourg et combattre messire Jean de Harleston, s’il le pouvoit attraire aux champs. Si s’en vint bien ordonné et appareillé à toute sa puissance, tant de gens d’armes comme d’arbalêtriers et de gens à pied. D’autre part messire Jean de Harleston, qui rien ne savoit du fait des François, eut volonté aussi de chevaucher ce jour : si fit sonner ses trompettes et armer toutes ses gens d’armes tant de cheval comme de pied, et tout traire aux champs, et ordonna qui demeureroit en la forteresse ; puis chevaucha en grand arroy et bonne ordonnance, comme cil qui bien le savoit faire ; et ordonna messire Jean Oursellé avec les gens de pied pour eux mener et conduire ; après ce ordonna ses coureurs. Aussi avoit fait messire Guillaume des Bordes. Et tant chevauchèrent en cette manière de l’un côté et de l’autre que les coureurs se trouvèrent, et s’entrechevauchèrent de si près que les coureurs anglois virent et avisèrent à plein les François, et aussi les coureurs françois trouvèrent et avisèrent les Anglois ; et se retrait chacun à son côté, rapportant la vérité des ennemis.

Lors furent les deux capitaines lies, car ils avoient trouvé ce qu’ils quéroient ; car ils désiroient moult à trouver l’un l’autre. Quand les deux capitaines eurent ouï le rapport de leurs coureurs, chacun recueillit ses gens bien et sagement, et firent développer leurs pennons en approchant l’un de l’autre ; et étoient les gens de pied anglois avec les gens d’armes. Sitôt qu’ils furent entr’approchés si près que à un trait d’arc, les François mirent pied à terre ; et aussi firent les Anglois. Adonc commencèrent archers et arbalêtriers à traire fort et roidement, et gens d’armes à approcher, les glaives au poing, abaissés, rangés et serrés si près que plus ne pouvoient. Lors s’assemblèrent-ils de tous côtés ; et commencèrent à pousser, à bouter et férir de glaives et de haches et d’épées : là eut dure bataille, forte et bien combattue : là vit-on gens d’armes éprouver leurs prouesses. Là étoit messire Guillaume des Bordes armé de toutes pièces, une hache en sa main, et frappoit à dextre et à senestre : tout ce qu’il consuivoit à plein coup, il ruoit par terre : là fit-il tant d’armes et de prouesses de son corps que à toujours il en doit être loué et prisé ; et ne demeura mie en lui qu’il ne mît tous les Anglois à déconfiture. D’autre part messire Jean Harleston, capitaine de Cherbourg, se combattoit bien et vaillamment, une hache en sa main, pied avant l’autre. Et bien y besognoit, car il avoit à dure partie à faire et durs combattans. Là eut maintes vaillantises faites ce jour, maintes appertises