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LIVRE I. — PARTIE II.

que des Anglois. Et fut le dit messire Olivier envoyé en Angleterre, et demeura grand temps prisonnier à Londres ; puis fut rançonné à grand’mise.

Ainsi demeurèrent les François devant Cherbourg jusques bien avant en l’hiver, à petit de conquêt. Si considérèrent qu’ils gâtoient leur temps et que Cherbourg étoit imprenable, et que tout rafreschissement, tant de vivres comme de gens d’armes, leur pouvoit venir par mer ; pourquoi les François se délogèrent et mirent bonnes garnisons à l’encontre de Cherbourg ; c’est à savoir, au Pont-d’Ouve, à Carentan, à Saint-Lô, à Saint-Sauveur-le-Vicomte : puis donna le connétable congé à tous ceux de sa route : si se trait chacun en son lieu ; et fut en l’an mil trois cent soixante dix-huit.

Vous avez bien ouï ci-dessus comment le duc de Bretagne s’étoit parti de Bretagne et avoit amené avec lui sa femme en Angleterre. Si demeurèrent en leurs terres qu’ils avoient au dit royaume, que on appeloit la comté de Richmond, et mettoit le duc grand’peine à avoir aide du jeune roi Richard d’Angleterre, pour reconquerre son pays qui étoit tourné François ; mais il n’en pouvoit être ouï.

Cependant advint que le duc de Lancastre fut informé que, s’il venoit en Bretagne atout une bonne armée, il auroit aucuns forts qui se rendroient à lui, par espécial Saint-Malo de l’Isle, une belle forteresse et hâvre de mer. Lors le duc de Lancastre mit sus une grosse armée et vint à Hantonne. Là fit appareiller vaisseaux et pourvéances : si entra en mer atout foison de seigneurs, de gens d’armes et d’archers d’Angleterre ; et fut en cette route le sénéchal de Hainaut et le chanoine de Robertsart. Si nagèrent tant qu’ils vinrent à Saint-Malo. Sitôt qu’ils furent à terre, ils issirent de leurs vaisseaux et déchargèrent toutes leurs pourvéances : si se trairent devant la ville de Saint-Malo et y bâtirent siége de tous côtés. Ceux de la ville ne furent mie trop effréés ; car ils étoient bien pourvus de vitaille, de gens d’armes et d’arbalêtriers qui vaillamment se deffendirent, et y fut le duc un grand temps.

Quand le connétable de France et le sire de Cliçon le sçurent, ils firent un grand mandement de tous côtés ; et vinrent devers Saint-Malo pour lever le siége ; et cuidoit-on plusieurs fois que la bataille se dût faire entre les deux parties. Et firent les Anglois plusieurs fois leurs gens ordonner tous prêts pour combattre : mais oncques le connétable de France ni le sire de Cliçon n’approchèrent si près que bataille se pût faire entre eux. Adonc, quand les Anglois eurent là été un grand temps, et qu’ils virent bien que ceux de la ville n’avoient nulle volonté de eux rendre, le duc de Lancastre eut conseil de déloger, car il véoit bien que là perdoit son temps. Si entra en mer et retourna en Angleterre, et donna congé à toutes manières de gens d’armes, et s’en alla chacun en son lieu.


CHAPITRE CCCXCVI.


Comment le château d’Auroy en Bretagne fut rendu François, et de la garnison française qui fut mise à Montbourg contre ceux qui étoient de piéça en la garnison du fort château de Cherbourg.


Encore étoit le châtel d’Auroy en la saisine du duc de Bretagne, qui tout coi étoit en Angleterre. Si y envoya le roi plusieurs seigneurs de France et de Bretagne, et y fut le siége mis grand et pleinier, et dura long-temps. Ceux d’Auroy, qui ne virent apparence d’être secourus de nul côté, entrèrent en traité, par condition que s’ils n’étoient secourus du duc de Bretagne ou du roi d’Angleterre, forts assez pour tenir la place, dedans certain jour dénommé, ils se devoient rendre ; ce traité fut accordé. Le jour vint, les François tinrent leur journée : nul ne s’apparut du duc de Bretagne ni des Anglois ; si fut le châtel rendu et mis en l’obéissance du roi de France, ainsi comme les autres châteaux et bonnes villes du pays de Bretagne étoient ; et se départirent ceux d’Auroy qui y étoient de par le duc de Bretagne.

L’an de l’incarnation de Notre Seigneur mil trois cent soixante-dix-neuf en la nouvelle saison, tantôt après Pâques, le roi Charles de France, qui vit comment ceux de Cherbourg guerroyoient durement le pays et gâtoient le clos de Cotentin, ordonna messire Guillaume des Bordes, vaillant chevalier et bon capitaine, à être gardien et souverain capitaine de Cotentin et de toutes les forteresses à l’encontre de Cherbourg. Si s’en vint le dit messire Guillaume atout belle route de gens d’armes et d’arbalêtriers Gennevois ; et vint gésir à Montbourg, dont il fit bastille contre Cherbourg ; et fit plusieurs