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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

péril des rencontres, jusques à Calais. Puis prirent les François la saisine de la Planche ; et dirent entre eux que bien ils le tiendroient, parmi l’aide d’Ardre et des autres forteresses que ils prendroient encore. À lendemain s’en vinrent les François devant Balinghehem, un chastel bel et fort en la comté de Guines, que les Anglois tenoient ; et n’y furent mie tous à celle empainte ; car le duc de Bourgogne étoit encore demeuré derrière et entendoit aux ordonnances d’Ardre, et au regarder quels gens y demeureroient et comment on le pourroit tenir contre les Anglois. Cils qui venoient devant Balinghehem étoient bien douze cents combattans. Si environnèrent le chastel et firent grand semblant de l’assaillir. À Balinghehem avoit fossés et grand roulis ainçois que on pût venir jusques aux murs ; mais cils François, targés et pavoisés, passèrent outre et rompirent les roulis, et pertuisèrent les murs. Quand les Anglois qui dedans étoient se virent assaillis de telle façon et entendirent que cils d’Ardre et de la Planche s’étoient rendus, si furent tout ébahis, et entrèrent en traités devers ces François. Finablement ils rendirent le chastel, sauves leurs vies et le leur ; et durent être conduits jusques à Calais, ainsi qu’il furent ; et les François prirent la possession de Balinghehem, qui s’en tinrent tout joyeux.

En après on vint devant un autre petit fort, qu’on appelle la Haye ; mais on trouva que les Anglois s’en étoient partis, et avoient bouté le feu dedans. Adonc s’en vint le duc de Bourgogne, et en sa compagnie tous cils barons dessus nommés, et leurs routes, devant Odruick un beau châtel et fort, duquel trois écuyers Anglois, qu’on dit les trois frères de Maulevrier, étoient capitaines ; et avoient avec eux des bons compagnons. Quand le duc de Bourgogne et ses gens furent venus jusques à là, ils l’environnèrent ; et leur fut demandé si ils se rendroient, et que ceux d’Ardre et de Balinghehem étoient rendus. Ils répondirent que ils n’en faisoient compte et qu’ils ne savoient rien de cela, et que point ne se rendroient ainsi. Quand on ouït cette réponse, adonc se logèrent toutes manières de gens ; ce fut par un merquedi ; et le jeudi toute jour on regarda comment on les pourroit assaillir. Ce château de Odruick est sur une motte environné d’eau et de fossés bien parfonds qui n’étoient mie légers à passer ; mais les Bretons s’affioient bien qu’il les passeroient. Adonc fit le duc de Bourgogne dresser ses engins et traire, ne sais, cinq ou six carreaux pour plus effréer ceux de dedans. Si en eut de ces carreaux qui, par force de trait, passèrent outre les murs et les pertuisèrent. Quand cils du châtel virent la forte artillerie que le duc avoit, si se doutèrent plus que devant ; mais toudis, jusques au dimanche, firent-ils grand semblant d’eux tenir et deffendre.

Entrues ordonnèrent les François et avoient jà ordonné toute leur besogne pour avoir l’avantage d’eux assaillir, et grand’foison de bois, de merriens, de velourdes et d’estrain pour remplir les fossés ; et étoient jà les livrées parties pour aller assaillir, et délivrées ainsi qu’usage est en tels besognes, et savoit chacun quelle chose il devoit faire ; et jà jetoient les canons, dont il y avoit jusques à sept vingt carreaux de deux cents pesant, qui pertuisoient les murs ; ni rien ne duroit devant eux, quand les trois frères de Maulevrier se mirent en traité envers le duc ; et m’est avis que ils rendirent la forteresse, sauve leur vie et le leur ; et furent conduits des gens du duc de Bourgogne jusques à Calais.

Vous devez savoir que messire Hue de Cavrelée, capitaine de Calais, et les gens d’icelle ville, furent moult émerveillés, quand si soudainement ils se virent en leur marche dégarnis de cinq châteaux ; et leur vint trop grandement à déplaisance, et par espécial de la bastide d’Ardre qui leur avoit été du temps passé un grand écu et confort contre les Artésiens ; et n’en savoient que supposer ; car le sire de Gommignies, combien que en devant ils l’aimassent, crussent et honorassent tant que à merveilles, il étoit maintenant tout hors de leur grâce ; et en murmuroient les aucuns villainement sur son parti, et tant que, lui étant à Calais, il s’en donna bien de garde, et perçut bien que les Anglois le regardoient fellement sur côté ; tant qu’il en parla et s’en conseilla à messire Hue de Cavrelée. Messire Hue de Cavrelée le conseilla loyaument et lui dit : « Sire de Gommignies, je ne vous oserois conseiller du contraire, pour votre honneur, que vous n’allez en Angleterre, et remontrez tout le fait ainsi qu’il va au duc de Lancastre et au conseil du roi, pourquoi vous en soyez excusé d’eux et du pays, et que vous en demeuriez sur votre droit et à votre honneur.