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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

et dit qu’il y envoieroit hâtement. Lors lui fut dit que ce fût secrètement, par quoi nulles nouvelles n’en fussent au pays devant que on fût venu là. Et si on pouvoit tant faire que on l’eût françoise, on ne se doutoit point que on ne dût tout reconquerre, jusques aux portes de Calais ; et si on étoit seigneur des frontières, on auroit meilleur avantage pour contraindre Calais.

Adonc le roi, tout avisé et pourvu de son fait, mit sus une grande assemblée de gens d’armes, et escripsit à son frère le duc de Bourgogne que il se traisît à Troyes en Champagne, et là fit ses pourvéances ; car il vouloit que il fût chef de toutes ces gens d’armes. Le duc obéit au commandement du roi, ce fut raison ; et s’en vint à Troyes ; et là vinrent tous les Bourguignons qui en furent priés et mandés, et aussi délivrés et payés tout secs de leurs gages pour trois mois. D’autre part le roi fit son mandement à Paris des Bretons et des François ; et là furent aussi tout prestement payés de leurs gages, et des Vermendisiens et Artisiens en la cité d’Arras. Adonc s’avalèrent le duc de Bourgogne et ses gens de Troyes, et s’en vinrent à Paris. Si se mirent là ensemble, Bourguignons, Bretons et les François ; et sçurent adonc aucuns capitaines, et non mie tous, quelle part ils devoient aller. Si se départirent sur la darraine semaine d’août ; et s’en vinrent à Arras en Picardie et de là à Saint-Omer. Si se trouvèrent bien vingt-cinq cents lances de bonne étoffe, pourvus de quant qu’il appartenoit à gens d’armes, et toute fleur de gens d’armes, chevaliers et écuyers. Si se départirent de Saint-Omer sur un samedi moult ordonnément et arrément, et s’en vinrent devant Ardre.

Cils de la garnison d’Ardre ne s’en donnoient garde, quand ils les virent tous rangés et ordonnés devant leur ville et si bien que merveilles. Là étoient avec le duc de Bourgogne, que je ne l’oublie, tous premiers bannerets bourguignons : le comte de Guines, le comte de Grant-Pré, monseigneur Louis de Châlons, le seigneur de la Rivière, le seigneur de Vergi, monseigneur Thibaut du Neufchâtel, messire Hugue de Vienne, Pierre de Bar, le seigneur de Soubrenon, le seigneur de Poix, le seigneur d’Enghien, le seigneur de Rougemont ; et puis bannerets bretons : le seigneur de Cliçon, le seigneur de Beaumanoir, le seigneur de Rochefort, le seigneur de Rieux, monseigneur Charles de Dignant ; bannerets normands : le seigneur de Blainville maréchal de France, le seigneur de Hambue, le seigneur de Riville, le seigneur d’Estouteville, le seigneur de Graville, le seigneur de Clère, le seigneur d’Aineval, le seigneur de Franville ; bannerets françois : monseigneur Jacques de Bourbon, monseigneur Hue d’Antoing, le comte de Dammartin, messire Charles de Poitiers, le sénéchal de Haynaut, le seigneur de Wauvrin, le seigneur de Helly, le seigneur de la Fère, l’évêque de Beauvais, monseigneur Hue d’Amboise, le seigneur de Saint-Dizier ; Vermendisiens : le seigneur d’Auffemont, le seigneur de Moreuil, le vicomte des Quesnes, le seigneur de Fransières, le seigneur de Raineval ; Artisiens : le vicomte de Meaux, le seigneur de Villers et le seigneur de Cresèques. Et là étoient tous cils barons en tel arroy et si bien accompagnés que merveilles seroit à recorder. Si se logèrent les plusieurs de feuillées, et les autres de rien fors à nud ciel ; car ils vouloient montrer qu’ils ne seroient mie là longuement et qu’ils assaudroient continuellement ; car ils firent dresser et appareiller leurs canons qui portoient carreaux de deux cents pesant.

Quand le sire de Gommignies se vit ainsi environné de tels gens d’armes et de si grand’foison dont il ne se donnoit de garde, et si sentoit sa forteresse mal pourvue d’artillerie, si se commença à ébahir ; et demanda conseil à ses compagnons comment il s’en cheviroit ; car il ne véoit mie que longuement contre tels gens d’armes il se pût tenir. Avec lui étoient trois chevaliers de Haynaut assez apperts d’hommes d’armes, messire Eustache, sire de Vertaing, et messire Pierre, son frère, et monseigneur Jaquemin du Sart et plusieurs bons écuyers et apperts, qui étoient en bonne volonté d’eux deffendre.

Ce premier jour que les François furent venus devant Ardre, s’en vint le sire de Hangest, un moult appert chevalier vermendisien, armé de toutes pièces, la lance au poing, monté sur un coursier, courir jusques aux barrières d’Ardre ; et dit, quand il fut là venu en frétillant et remuant son coursier, par quoi il ne fût avisé du trait : « Entre vous, Hainuiers–Anglois, que ne rendez-vous celle forteresse à monseigneur de Bourgogne ? » Adonc répondirent deux écuyers frères qui là étoient, Yreux et Hutin