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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

que ce fût, pour tant que on vouloit mettre tantôt les besognes du pays en bonne et estable ordonnance, ainçois que la mort du vaillant roi fût sçue. Or parlerons de l’armée françoise qui étoit sur mer.


CHAPITRE CCCXC.


Du couronnement du jeune roi Richard, et comment plusieurs villes furent arses en Angleterre par la grand’navie des François.


Droitement la vigile saint Paul et saint Pierre vinrent les François prendre terre à un port en la comté d’Excestre, vers les marches de la comté de Kent à une assez bonne ville pleine de pêcheurs et de maronniers que on dit Rye[1]. Si la pillèrent et robèrent, et ardirent tout entièrement, et puis rentrèrent en leur navie en mer et prirent le parfont et les côtières de Hamptonne ; mais point n’y approchèrent à celle fois.

Quand ces nouvelles furent venues à Londres où tout le pays s’assembloit pour couronner leur seigneur le jeune roi Richard, si en furent toutes gens durement émus ; et dirent ainsi les seigneurs et toutes gens d’un accord : « il nous faut hâter de couronner notre roi et puis aller contre ces François, ainçois que ils nous portent plus grand dommage. » Si fut couronné au palais et en la chapelle de Westmoustier à roi d’Angleterre le jeune Richard[2], le huitième jour du mois de juillet l’an dessus dit, en l’onzième an de son âge. Si fit ce jour le dit roi Richard neuf chevaliers et cinq comtes ; les chevaliers ne sais-je mie nommer, si m’en tairai ; mais les comtes vous nommerai. Premier monseigneur Thomas son oncle, comte de Boucquinghem ; monseigneur Henri sire de Persi, comte de Northombrelande ; monseigneur Thomas de Hollande son frère, comte de Kent ; monseigneur Guichart d’Angle son maître, comte de Hotindon ; et le seigneur de Moutbray, comte de Notinghen. Tantôt après celle fête et le couronnement du roi, on ordonna lesquels iroient à Douvres pour là garder le passage, et lesquels iroient d’autre part. Si furent élus le comte de Cambruge, et le comte de Bouquinghem, les deux frères, d’aller à Douvres atout quatre cents hommes d’armes et six cents archers, et le comte de Salebrin et messire Jean de Montagu son frère à une autre ville et bon port que on dit Pesk[3] atout deux cents hommes d’armes et trois cents archers.

Or vous parlerons nous des François, comment ils exploitèrent, entrues que ces ordonnances se firent et le couronnement du jeune roi, où on détria dix ou douze jours ainçois que cils seigneurs fussent, et leurs gens, où ils devoient aller, excepté messire Jean d’Arondel. Cil fut toudis tout cois avec ses gens, et sa charge à Hamptonne ; et bien y besogna ; car si il n’y eût été en l’état que je vous dis, la ville eût été détruite des François, car ils y vinrent prendre terre en l’île de Wick[4], et là se arrêtèrent et mirent leurs chevaux hors de leurs nefs pour courir sur le pays. Et y coururent et ardirent ces villes que je vous nommerai : Yamoude[5], Dartemoude[6], Pleuvemoude[7] et Wesinsé[8], qui étoient bons gros villages ; si les pillèrent et robèrent ; et y prirent sur le pays et ès dites villes plusieurs riches hommes à prisonniers ; et puis s’en retournèrent à leur navie et mirent ens tout leur conquêt et leurs chevaux, et rentrèrent ens et se desancrèrent et allèrent vers Hamptonne. Si cuidèrent là arriver de haute marée ; et vinrent devant le havène, et firent grand semblant de prendre terre. Messire Jean d’Arondel et ses gens qui étoient tout avisés de leur venue, car ils les avoient vus nager sur mer et prendre leur tour pour arriver et prendre terre à Hamptonne, étoient tout ordonnés, armés et mis ensemble en bataille devant le havène. Là eut un peu d’escarmouche ; et virent

  1. L’un des Cinq Ports d’Angleterre.
  2. Walsingham a décrit avec beaucoup de détails toutes les splendides cérémonies du couronnement de Richard II. Une de ces cérémonies rappelait la coutume ancienne de l’élection populaire du souverain. Après que le roi eut fait son serment, l’archevêque et le maréchal d’Angleterre le firent aller de tous les côtés de l’église, en montrant au peuple la formule du serment signé par le roi et en demandant si l’on voulait se soumettre à un tel prince et gouverneur et obéir à ses ordres. Le peuple répondit par de vives acclamations qu’il consentait volontiers à lui obéir.
  3. Peut être Pool, ville du Dorsetshire, avec un bon port.
  4. Les Français descendirent dans l’île de Wight, le 21 d’août, suivant Otterbourne et Walsingham.
  5. Yarmouth.
  6. Dartmouth.
  7. Plymouth.
  8. Winchelsea.