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LIVRE I. — PARTIE II.

Thomar[1] ; et l’amiral de France étoit messire Jean de Vienne. Avec lui étoient messire Jean de Roye et plusieurs apperts chevaliers et écuyers de Bourgogne, de Champagne et de Picardie. Si vaucroient ces gens marins sur mer, et n’attendoient autre chose que nouvelles leur vinssent que la guerre fût renouvelée. Et bien s’en doutoient en Angleterre ; et l’avoient les capitaines des îles d’Angleterre, de Gersée, de Grenesée et du Wisk signifié au conseil du roi d’Angleterre ; car le roi étoit jà moult malade, et ne parloit-on point à lui des besognes de son royaume, fors à son fils le duc de Lancastre ; et étoit si très foible que les médecins n’y espéroient point de retour. Si fut envoyé à Hamptonne monseigneur Jean d’Arondel atout deux cents hommes d’armes et trois cents archers pour garder le havène, la ville et la frontière contre les François.

Quand le duc de Bretagne, ainsi que contenu est et devisé ci-devant, fut ramené à Calais du comte de Salebrin et de monseigneur Guichart d’Angle, il entendit que le roi son seigneur étoit durement malade et affaibli ; si se partit du plus tôt qu’il put et monta en mer ; et demeurèrent encore à Calais le comte de Salebrin et monseigneur le duc de Bretagne ; si prit terre à Douvres et puis chevaucha vers Londres et demanda du roi. On lui dit qu’il gisoit moult malade en un petit manoir royal qui est là sur la rivière de Tamise, à cinq lieues angloises de Londres que on dit Chenes[2]. Là vint le duc de Bretagne : si y trouva le duc de Lancastre, le comte de Cambruge, monseigneur Thomas le mains-né et aussi le comte de la Marche ; et n’attendoient du roi fors l’heure de Notre Seigneur. Et aussi étoit là sa fille madame de Coucy, qui moult étoit abstreinte de grand’douleur et angoisse de ce qu’elle véoit son seigneur de père en ce parti.

Le jour devant la veille monseigneur saint Jean-Baptiste, en l’an mil trois cent soixante dix sept, trépassa de ce siècle le vaillant et le preux roi Édouard d’Angleterre[3], de la quelle mort tout le pays et le royaume d’Angleterre fut durement désolé ; et ce fut raison, car il leur avoit été bon roi. Oncques n’eurent tel ni le pareil puis le temps le roi Artus qui fut aussi jadis roi d’Angleterre, qui s’appeloit à son temps la grand’Bretagne. Si fut le dit roi embaumé et mis et couché sur un lit moult révéramment et moult puissamment, et porté tout ainsi aval la cité de Londres de vingt quatre chevaliers vêtus de noir, ses trois fils et le duc de Bretagne et le comte de la Marche derrière lui, et ainsi allant pas pour pas, à viaire découvert. Qui vit et ouït ce jour les grands lamentations que le peuple faisoit, les pleurs et les cris et les regrets qu’ils disoient et qu’ils faisoient, on en eut grand’pitié et grand’compassion au cœur.

Ainsi fut le noble roi apporté au long de Londres jusques à Westmoustier, et là mis et enseveli dalez madame sa femme Philippe de Haynaut, roine d’Angleterre, ainsi que à leur vivant avoient ordonné. Et fut fait l’obsèque du roi si noblement et si révéramment que on put oncques ; car bien le vaut ; et y furent tous les prélats, les comtes, les barons et les chevaliers d’Angleterre, qui pour ce temps y étoient.

Après celle obsèque, on regarda que le royaume d’Angleterre ne pouvoit être longuement sans roi, et que profitable étoit pour tout le royaume de couronner tantôt le roi qui être le devoit, et lequel le vaillant roi qui mort étoit avoit ordonné et revêtu du royaume très son vivant. Si ordonnèrent là les prélats, les comtes, les barons, les chevaliers et les communautés d’Angleterre, et assignèrent un certain jour, et bien bref, que on couronneroit l’enfant, le jeune Richard, qui fils avoit été du prince ; et furent à ce donc tous d’accord.

En celle semaine que le roi fut trépassé, retournèrent de Calais en Angleterre le comte de Sallebrin et messire Guichart d’Angle, qui furent moult tristes et fort courroucés de la mort le vaillant roi ; mais souffrir leur convint puisque Dieu le vouloit. Si furent tous les pas clos en Angleterre[4], ni nul n’en partoit, de quel côté

  1. C’est peut-être le même personnage que Pero Fernandez de Velasco, qui, en 1375, prit en mer le sire de l’Esparre, suivant Ayala.
  2. Sheen, aujourd’hui le plus délicieux village d’Angleterre, situé à neuf milles de Londres, à quelques pas de la Tamise. Édouard III y mourut. On lui donna plus tard le nom de Richemond, qui lui est resté.
  3. Il mourut le 21 juin.
  4. Cette défense ne subsista pas long-temps ; car dès le 26 juin, Richard permit à la comtesse de Bedford de passer en France. Mais les termes dans lesquels cette permission est conçue supposent que Froissart a dit la vérité et qu’on avait d’abord fermé les ports d’Angleterre.