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LIVRE I. — PARTIE II.

Jean de Lancastre et madame sa femme, le comte de Cambruge et messire Thomas le mains-né, et le jeune Richard, fils du prince, qui étoit en la garde et doctrine de ce gentil et vaillant chevalier monseigneur Guichard d’Angle, il prit congé à tous et à toutes et laissa là sa femme et sa mains-née fille, la damoiselle de Coucy, et puis s’en retourna en France.

En ce temps paya le roi Édouard d’Angleterre aux barons et aux chevaliers d’Angleterre son Jubilé ; car il avoit été cinquante ans roi. Mais ainçois fut trépassé messire Édouard son aîné fils, prince de Galles et d’Aquitaine, fleur de toute chevalerie du monde en ce temps, et qui le plus avoit été fortuné en grands faits d’armes et accompli de belles besognes. Si trépassa le vaillant homme et gentil prince de Galles en le palais de Westmoustier dehors la cité de Londres. Si fut moult plaint, et sa bonne chevalerie moult regretée ; et eut le gentil prince à son trépas la plus belle reconnoissance à Dieu et la plus ferme créance et repentance que on vit oncques grand seigneur avoir : ce fut le jour de la Trinité en l’an de grâce de Notre Seigneur mil trois cents soixante et seize[1]. Et pour plus authentiquement et révéramment faire la besogne, et que bien avoit du temps passé conquis, par sa bonne chevalerie, que on lui fit toute l’honneur et révérence que on pourroit, il fut enbaumé et mis en un sarcueil de plomb, et là tout enseveli, excepté le viaire, et ainsi gardé jusques à la Saint-Michel que tous prélats, tous barons et chevaliers d’Angleterre, furent à son obsèque à Westmoustier.


CHAPITRE CCCLXXXIX.


Comment on ne put trouver aucun traité de paix entre les deux rois, et aussi de la mort du roi d’Angleterre.


Sitôt que le roi de France fut signifié de la mort de son cousin le prince de Galles, il lui fit faire son obsèque moult révéramment en la sainte chapelle du roi à Paris ; et y furent ses frères et grand’foison des plus hauts barons et chevaliers de France ; et dit bien le roi de France et affirma que le prince de Galles avoit régné puissamment et vaillamment.

Or vint la Toussaint, que le roi d’Angleterre envoya aux parlemens à Bruges, ainsi que ordonnance se portoit, monseigneur Jean de Montagu, le seigneur de Gobehem, l’évêque de Herefort et le doyen de Saint-Pol de Londres ; et le roi de France le comte de Salebruce, le seigneur de Chastillon, monseigneur Philibert de l’Espinace ; et toudis y étoient les deux légats traiteurs. Si se tinrent cils seigneurs et cils traiteurs tout le temps à Bruges ; et peu exploitèrent, car toutes leurs choses tournoient à nient ; car les Anglois demandoient, et les François aussi.

En ce temps étoit le duc de Bretagne en Flandre dalez son cousin le comte Louis de Flandre, lequel il trouvoit assez traitable et amiable ; mais point ne s’ensonnioit de ces traités.

Environ le quarême, se fit un secret traité entre les Anglois et les François ; et durent les Anglois porter leur traité en Angleterre et les François en France, et chacun devers son seigneur le roi ; et devoient retourner, ou autres commis que le roi renvoyeroit, à Montreuil sur Mer ; et sur cel état furent les trêves ralongées jusques au premier jour de mai. Si en allèrent les Anglois en Angleterre, et les François revinrent en France et rapportèrent leur traité, et recordèrent sur quel état ils s’étoient partis l’un de l’autre. Si furent envoyés à Montreuil sur Mer, du côté des François, le sire de Coucy, le sire de la Rivière, messire Nicolas Bracque et Nicolas le Mercier ; et du côté des Anglois, messire Guichart d’Angle, messire Richard Sturi et Joffroi Chaucier, et parlementèrent cils seigneurs et ces parties grand temps sur le mariage du jovène Richard, fils du prince, et de mademoiselle Marie, fille du roi de France ; et revinrent arrière en Angleterre et rapportèrent leur traité ; et aussi les François en France, et furent les trêves ralongées d’un mois[2].

Nous avons oublié à recorder comment le roi d’Angleterre, le jour de la Nativité Notre Seigneur, l’an dessus dit, tint son palais à Westmoustier et fit une grande fête et solennelle ; et y furent, par mandement et commandement du roi, tous les prélats, les comtes, les barons et les chevaliers d’Angleterre ; et là fut élevé Richard

  1. Walsingham fixe sa mort au 8 juillet, octavo die julii. Peut-être faudrait-il lire junii au lieu de julii, et alors cette date s’accorderait avec celle de Froissart, le dimanche de la Trinité ayant été en 1376, le 8 de juin.
  2. Les Chroniques de France confirment ce témoignage. Suivant elles les trêves furent éloignées de termes, jusqu’à la Nativité de saint Jean-Baptiste.