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LIVRE I. — PARTIE II.

de Buch hors de prison. D’autre part le roi de France vouloit avoir la ville et le châtel de Calais abattue, quelque traité que il fît, et de cel argent tout l’opposite, mais toute la somme entièrement que le roi son père et il avoient payée, il vouloit ravoir ; ce que le roi d’Angleterre n’eût jamais fait, l’argent rendu et Calais abattu. Si furent grand temps sur cel état, et les légats alloient, proposoient et à leur pouvoir imaginoient et amoyennoient ces besognes et demandes ; mais se approchoient trop mal. Si furent les parties, tant de France comme d’Angleterre, un grand temps en Flandre ; et fus adonc informé que finablement Bretagne et Espaigne rompirent tous les traités. Si furent les trêves ralongées jusques au premier jour d’avril l’an mil trois cent soixante et seize, et se départirent de Bruges tous ces ducs. Les uns s’en allèrent en Angleterre et les autres en France, et les légats demeurèrent à Bruges ; mais chacune de ces parties devoient à la Toussaints renvoyer gens pour eux qui auroient plein pouvoir et autorité, autel comme les deux rois auroient si ils étoient personnellement, de faire paix ou accord ou de donner trêves.


CHAPITRE CCCLXXXVIII.


Comment fut mise à fin l’emprise du seigneur de Coucy en Osteriche ; et de la mort du prince de Galles.


Or revenons au seigneur de Coucy qui étoit en Aussay et avoit fait défier le duc d’Osteriche et tous ses aidans et lui cuidoit faire une grand’guerre ; et moult s’en doutoient les Ostrisiens. Nequedent, comme très vaillans gens d’armes et bons guerroyeurs qu’ils sont, ils allèrent au devant et obvièrent grandement à l’encontre de ces besognes ; car quand ils sentirent le seigneur de Coucy et ses gens, et ces compagnies approcher, eux-mêmes ardirent et détruisirent au-devant d’eux bien trois journées de pays.

Quand cils Bretons et ces compagnies furent outre Aussay et sur la rivière du Rhin, et ils durent approcher les montagnes qui départent Aussay et Osteriche, et ils virent un povre pays, et trouvèrent tout ars et dérobé, non pas pays de telle ordonnance comme il est sur la rivière de Marne et Loire, et ne trouvoient que genestres et broussis, et plus alloient avant et plus trouvoient povre pays et dérobé d’eux-mêmes, que ils avoient après ces beaux vignobles et ce gras pays de France, de Berry et de Bretagne, et ils ne savoient que donner à leurs chevaux, si furent tout ébahis. Si s’arrêtèrent sur la rivière du Rhin ensemble les Compagnies ; et eurent parlement les Bretons et les Bourguignons ensemble pour savoir comment ils se maintiendroient. « Et comment ! disent-il, est telle chose la duché de Osteriche ? Le sire de Coucy nous avoit donné à entendre que c’étoit l’un des gras pays du monde et nous le trouvons le plus povre : il nous a déçu laidement. Si nous étions de là cette rivière du Rhin, jamais ne le pourrions repasser que ne fussions tous morts et pris, et en la volonté des Allemands, qui sont gens sans pitié. Retournons, retournons en France ; ce sont mieux nos marches ; mal-de-hait ait qui ira plus avant ! » Ainsi furent-ils d’accord d’eux loger, et se logèrent tout contreval le Rhin, et firent le seigneur de Coucy loger tout emmy eux ; lequel, tantôt quand il vit cette ordonnance, se commença à douter qu’il n’y eût trahison. Si leur dit : « Seigneurs, vous avez pris mon or et mon argent, dont je suis grandement endetté, et l’argent du roi de France, et vous êtes obligés, par foi et par serment, que de vous acquitter loyaument en ce voyage. Si vous vous en acquittez autrement, je suis le plus déshonoré homme du monde. » — « Sire de Coucy, répondirent à ce premier les capitaines des Compaignies et les Bourguignons, la rivière du Rhin est encore moult grosse, on ne la peut passer à gué sans navire. Nous séjournerons ci ; entrues viendra le bau temps. Nous ne savons les chemins en ce pays ; passez devant, nous vous suivrons. On ne met mie gens d’armes hors du bon pays comme mis nous avez : vous nous disiez et affiez que Osteriche est un des bons et gras pays du monde, et nous trouvons tout le contraire. » — « Par ma foi ! répondit le sire de Coucy, c’est mon, mais ce n’est mie ci à l’entrée : par delà cette rivière et outre ces montagnes que nous véons, trouverons nous le bon pays. » — « Or, passez donc devant et nous vous suivrons. »

Ce fut la plus courtoise réponse que il put à cette heure avoir d’eux, mais se logèrent, et le seigneur de Coucy emmy eux, par tel manière que, si il s’en voulsit adonc être parti, il ne put, tant étoit-il adonc près guetté ; de laquelle chose