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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

grossée et scellée, et du duc de Lancastre à deux de ses chevaliers délivrée, lesquels on appeloit l’un monseigneur Nicolle de Carsuelle et l’autre monseigneur Gautier de Urswich. Le duc d’Anjou, pour hâter la besogne et pour ces deux chevaliers montrer le chemin, prit deux des sergents d’armes de son frère le foi, et leur dit : « Hâtez-vous et faites hâter ces chevaliers, et renouvelez de chevaux partout où vous viendrez ; et ne cessez ni nuit ni jour tant que vous ayez trouvé le duc de Bretagne. » Avec tout ce, il en pria et fit prier par les légats les deux chevaliers espéciaument ; et aussi leur sire le duc de Lancastre leur rechargea. Si exploitèrent tant et si vigoureusement que, sur cinq jours, ils furent de Bruges devant Camperlé ; et trouvèrent le duc qui jouoit aux échecs au comte de Cantebruge dedans son pavillon. Si se agenouillèrent devant lui et devant le comte, et les saluèrent en anglois. Les deux chevaliers furent les très bien venus de ces seigneurs, pourtant qu’ils venoient de leur frère le duc de Lancastre ; et demandèrent des nouvelles. Tantôt messire Nicoles Urswich mit ayant la chartre de la trêve où la commission étoit annexée ; et commandoit le duc de Lancastre, qui plein pouvoir et autorité avoit au lieu du roi d’Angleterre son père, que, en quelque état qu’ils fussent, ils se partissent tantôt et sans délai. Or regardez si cette chose vint bien à point pour les barons de Bretagne qui étoient enclos en tel danger en Camperlé, qui n’avoient mais que un jour de répit. Oncques chose ne chéit si bien à gens qu’il leur en chéit. Vous devez savoir que le duc de Bretagne fut étrangement courroucé quand il ouït ces nouvelles ; et crola la tête, et ne parla en grand temps ; et le premier parler qu’il dit ce fut : « Maudite soit l’heure quand oncques je m’accordai à donner trêves à mes ennemis ! » Ainsi se défit le siége de Camperlé, voulsit ou non le duc de Bretagne, par la vertu de la chartre et de la commission le duc de Lancastre ; et se délogèrent tantôt tout courroucés, et se retrairent vers Saint-Mathieu de Fine Poterne où toute leur navie étoit. Quand le sire de Cliçon, le vicomte de Rohan, le sire de Laval et les autres qui en Camperlé étoient, virent ce département, et sçurent par quelle condition, car le duc d’Anjou leur en envoya lettres, si furent trop grandement réjouis ; car au matin ils voulsissent avoir payé de deux cents mille francs, et qu’ils fussent à Paris.

Ainsi se dérompit cette armée du duc de Bretagne faite en Bretagne, et retournèrent le comte de Cantebruge, le comte de la Marche, le sire Despensier et tous les Anglois, en Angleterre ; et le duc s’en vint à son châtel d’Auroy où la duchesse sa femme étoit qu’il désiroit moult à voir, car il ne l’avoit vue plus d’un an avoit. Si se tint là un terme et regarda à ses besognes, et fit tout à ordonnance à son loisir, et puis s’en retourna en Angleterre et emmena sa femme avec lui. Aussi le duc de Lancastre retourna à Calais, et de là en Angleterre, sur l’entente que de revenir à Bruges à la Toussaints qui venoit. D’autre part aussi le duc d’Anjou s’en vint à Saint-Omer et se tint là toute la saison, si ce ne fut un petit qu’il s’en vint ébattre à Guise en Tierache, où madame sa femme étoit ainsi que sur son héritage ; et puis retourna tantôt à Saint-Omer, et les deux légats traiteurs se tinrent à Bruges.

Or revenons à ceux de Saint-Sauveur-le-Vicomte qui étoient mis en composition devers le connétable de France. Les Anglois, quand ils partirent de Bretagne, cuidèrent que cil siége là se dût aussi bien lever que il s’étoit levé de devant Camperlé ; mais non fit ; ainçois y eut, au jour qui estimé y étoit, plus de dix mille lances, chevaliers et écuyers. Quatreton, messire Thomas Trivet, messire Jean de Bourcq et les compagnons qui dedans étoient, à leur pouvoir débattirent assez la journée ; car ils avoient ouï parler de cette trêve : si se vouloient ens enclorre aussi. Mais les François ne l’entendoient mie ainsi ; ainçois disoient que la première convenance passoit la darrenière ordonnance, et qu’ils avoient mis au traité de leur composition que, si le duc de Bretagne proprement ne venoit lever le siége, ils se devoient rendre, et mettre leur garnison en la volonté du connétable. « Encore est le duc au pays, ce disoient les François ; pourquoi ne trait-il avant ? Nous sommes tout pourvus et appareillés de l’attendre et du combattre, et vous demandons, par votre serment, si vous lui avez point signifié. » Ils disoient bien oui. « Et pourquoi ne trait-il avant ? » Ils répondoient : « Il maintient, et nos gens aussi, que nous sommes au traité de la trêve. » Les François disoient qu’il n’en étoit rien ; et les avisa