Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome I, 1835.djvu/768

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
700
[1375]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

ner, et que leurs coursiers étoient tout mouillés de sueur ; mais oncques ne se purent ni sçurent si hâter que le sire de Cliçon et les barons de Bretagne, qui devant le Nouveau-Fort étoient, ne fussent signifiés de ces nouvelles. Et leur fut dit ainsi : « Or tôt, seigneurs, montez sur vos chevaux et vous sauvez ; autrement vous serez pris aux mains ; car veci le duc de Bretagne, le comte de Cantebruge et toutes leurs gens qui viennent. » Quand cils seigneurs ouïrent ces nouvelles, si furent moult ébahis et à bonne cause. Or eurent-ils tant d’avantage que leurs chevaux étoient ensellés ; car si ils ne le fussent, ils ne l’eussent point été à temps, tant étoient-ils et furent hâtés. Et si très tôt qu’ils furent montés et qu’ils se partoient, ils regardèrent derrière eux et virent la grosse route et épaisse du duc de Bretagne qui venoit les grands galops. Adonc sçurent bien chevaux que éperons valoient en la route du seigneur de Cliçon ; car quant que ils pouvoient brocher ils brochoient le chemin de Camperlé ; et le duc de Bretagne et sa route après. Ce aida moult au seigneur de Cliçon et à sa compagnie, et leur fit grand avantage, que leurs chevaux étoient frais, et cils du duc de Brelagne travaillés : autrement ils eussent été r’ataints sur le chemin.

Le sire de Cliçon et ses gens trouvèrent les portes de Camperlé toutes ouvertes ; si leur vint grandement à point, et entrèrent ens ; et à fait qu’ils entroient, ils descendoient et prenoient leurs lances et s’ordonnoient aux barrières pour deffendre et attendre leurs compagnons ; mais les plus lointains n’étoient mie le trait d’un arc loin. Si furent tous recueillis et se sauvèrent par grand’aventure ; et levèrent les ponts et clorrent les barrières et les portes de Camperlé. Evvous le duc de Bretagne, le comte de Cantebruge, et les barons et les chevaliers d’Angleterre tous venus, qui font leur course et leur montre devant les barrières ! et ainsi qu’ils venoient ils s’arrêtoient et descendoient de leurs chevaux qui étoient tout blancs de sueur. Là vouloit le duc de Bretagne que tantôt on les assaulsît ; mais il lui fut dit : « Sire, il vaut trop mieux que nous nous logeons, et regardons par quelle ordonnance nous les assaudrons, que nous nous hâtions avec le travail que nous avons. Ils sont enclos ; ils ne vous peuvent nullement échapper, si ils ne s’envolent en l’air. Camperlé n’est pas si forte contre votre host que vous ne les doiviez avoir. » Adonc se logèrent toutes manières de gens, et se mirent en bonne ordonnance tout autour de la ville ; car quand ils furent tous venus ils se trouvèrent gens assez pour ce faire. Ainsi fut messire Jean d’Éverues délivré de grand péril et de grand danger, et son nouveau fort.


CHAPITRE CCCLXXXV.


Des barons de Bretagne qui furent enclos dans Camperlé, et des trêves qui bien à point leur arrivèrent.


Le premier jour entendirent les Anglois à eux loger bien et faiticement ; et disoient les seigneurs, que ils ne voulsissent être autre part que là, tant avoient grand’plaisance en ce qu’ils sentoient les barons de Bretagne, que le plus désiroient à tenir, enclos dedans Camperlé. Si se tinrent ce premier jour tout aises et la nuit aussi, et firent bon guet. À lendemain, environ soleil levant, ils se mirent en ordonnance pour assaillir, et se trairent tout devant Camperlé.

Bien savoient le sire de Cliçon et les autres, qu’ils seroient assaillis et que on leur porteroit du pis que on pourroit. Si étoient eux, et leurs gens aussi, ordonnés selon ce, et mis en bon convenant ; car ils étoient bien gens, puisqu’ils avoient un peu d’avantage, qui n’étoient mie légers à déconfire. Là eut ce jour, jusques à haute nonne, fort assaut et dur ; et n’y avoit homme ni femme en la ville de Camperlé qui ne fût ensonnié d’aucune chose faire, ou de porter pierres et dépaver les chaussées, ou d’emplir pots pleins de chaux, ou d’apporter à boire aux compagnons qui se deffendoient et que de sueur tout mouillés étoient. En cel état furent-ils jusques à la nuit, par trois ou par quatre assauts ; et en y eut de ceux de l’ost, en assaillant, aucuns blessés et navrés. À lendemain, on refit tout autel ; et assaillirent les Anglois, ce second jour, jusques à la nuit. Le sire de Cliçon et les barons qui là étoient et qui en ce danger se véoient, et qui en sus de tous conforts se véoient, n’étoient mie bien à leur aise. Si regardèrent que trop mieux leur valoit à eux rendre et payer rançon que attendre l’aventure d’être pris ; car bien connoissoient que longuement ils ne se pouvoient tenir en cel état. Si faisoient doute que, s’ils étoient pris de force, trop grand mes-